Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/787

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été huguenote, et que Dieu la voulait punir, d’y avoir demeuré si longtemps. » En effet, la dame de Villars, inquiète sur son salut, avait abjuré le calvinisme, en présence du sort qui la menaçait. Après avoir été liée avec des cordes, comme venait de l’être le chevalier de Rohan, elle pria celui-ci de lui céder un de ses confesseurs. Mais le chevalier repartit qu’il n’en avait pas trop de deux. Pour satisfaire à son désir, on se hâta d’amener à la dame un troisième confesseur ; c’était l’abbé Porcher, docteur en Sorbonne. Elle se rendit avec lui, en gardant un grand calme, dans un autre oratoire du château. Après quoi, on fit descendre dans la chapelle le chevalier de Préau et Van den Enden, auxquels lecture fut donnée de leur arrêt, qu’ils entendirent à genoux.

La confiscation des biens de la dame de Villars était spécifiée dans l’arrêt, comme pour le chevalier de Rohan ; mais son frère, le sieur de Brie, obtint du roi les biens meubles à elle appartenant. La question des biens que laissait cette malheureuse femme donna lieu, peu avant son supplice, à une scène étrange que mentionne le procès-verbal et qui mérite d’être rapportée. Le jour même de l’exécution, vers une heure de l’après-midi, un sieur Vapy se présenta à la Bastille, demandant à parler à la dame de Villars, pour une affaire particulière qui la concernait: il montrait un mémoire qui avait trait à cette affaire. On fit droit à sa demande, et il fut introduit dans la chapelle où se tenait la dame de Villars. Vapy informa alors celle-ci que son frère de Brie avait obtenu du roi le don de sa confiscation ; il ajouta que de Brie en userait en honnête homme, comme il le devait, mais qu’il lui demandait quelques éclaircissemens sur les affaires dont il était question dans le mémoire que lui, Vapy, avait à la main. Chose remarquable, Mme de Villars avait si bien repris son sang-froid, qu’elle écouta attentivement le mémoire dont Vapy lui donna lecture, et elle fournit sur chaque article les explications réclamées. Vapy nota au crayon les réponses ainsi obtenues. Procès-verbal en fut dressé par le greffier, qui était présent à cet entretien. On proposa à Mme de Villars d’introduire près d’elle deux de ses anciens amans, MM. de La Meusse et de Brisbarre, dont les lettres avaient été trouvées dans ses papiers ; mais elle refusa, redoutant l’émotion que cette entrevue produirait sur elle, alléguant d’ailleurs qu’elle avait besoin de toutes ses forces, dans l’état où elle était. En la quittant, Vapy promit à l’infortunée de faire emporter son corps et de la faire enterrer en terre sainte, à quoi, dit le procès-verbal, ladite dame répondit « qu’elle lui en auroit obligation, que néanmoins elle avoit plus de souci où savoir placer son âme que son corps, et elle le pria de faire en sorte qu’il fût fait des prières pour elle, que c’étoit de cela qu’elle avoit le plus besoin. »

Enfin le moment fixé pour l’exécution arriva. Sur les quatre heures