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dans un état républicain, où l’on se pique d’une entière liberté, il n’est pas possible de réprimer les langues ni les écrits des particuliers. » Le médecin flamand ajoutait, « qu’à l’égard de l’Espagne, on avait violé le dernier traité de paix fait avec elle, en passant sur ses terres, pour aller opprimer des alliés; que cette puissance, pour se soutenir dans les Pays-Bas contre la France, avait besoin de l’appui de la Hollande, et qu’il suffisait d’un petit revers pour changer la fortune de ce royaume. » Enfin, Van den Enden insista de nouveau sur le péril où se trouvait Louis XIV, au milieu d’une cour composée de femmes, de ministres et de vieillards, presque sans gardes pour le protéger.

Le soir même du jour où le médecin flamand avait tenu à Du Cause ce langage, Latréaumont vint à la maison de Picpus. Pour entendre la conférence qui allait se tenir entre les deux conspirateurs, le jeune officier se blottit dans un corridor noir, tout au voisinage de la pièce où ils s’étaient enfermés. Il se tint là, un pistolet dans chaque main, décidé à faire feu s’il était découvert et si sa vie était menacée. Dans la conversation qu’il parvint ainsi à entendre, Van den Enden exprima des doutes sur la fermeté du chevalier de Rohan. Latréaumont répliqua qu’il n’y avait rien de tel à craindre; que Rohan était trop engagé pour reculer; que de trop grandes espérances le flattaient pour qu’il les abandonnât ; que la souveraineté de la Bretagne, qui lui avait été promise, le rendait impatient qu’on exécutât promptement ce qui avait été résolu ; mais qu’il fallait bien se garder de lui découvrir la suite à donner au projet et à laquelle il ne voudrait jamais souscrire.

Il fut encore question, dans cette conférence où Du Cause était aux écoutes, des cinq cents habits de gardes du corps qui allaient être achevés incessamment et que ceux auxquels ils étaient destinés s’apprêtaient à recevoir. Latréaumont affirmait qu’on pouvait compter sur tous ces gens-là, hommes de cœur et d’expérience, que les chevaux étaient distribués de manière à être réunis en quelques heures. Les dispositions ainsi prises, il ne s’agirait plus que de savoir le jour où Monseigneur le Dauphin irait à la chasse du loup, dans les bois de la Normandie. Comme le prince était ordinairement seul avec un piqueur, après le premier relais, dix gardes suffiraient pour l’emmener du côté de la mer ; des barques seraient disposées pour le recevoir et le conduire prisonnier à la flotte hollandaise, qui se trouverait à proximité. Les autres faux gardes devaient se partager en deux corps ; cent d’entre eux iraient s’emparer de Honfleur, où lui, Latréaumont, les. introduirait, tandis que le reste tournerait droit sur Versailles, où il y avait gros butin à