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une antipathie. Bêtes venimeuses, dira-t-on, dangereuses même, assure-t-on en différens pays. Certes, les araignées ont un venin qui sert à tuer les insectes dont elles font leur nourriture. Nous pouvons affirmer que, au moins en Europe, nulle espèce n’est à craindre pour l’homme. Sans doute, on sera fondé à blâmer la tenue d’une maison hantée par les araignées ; il s’agit d’hôtes incommodes, on s’en débarrasse. La part de désagrément due à l’espèce qui s’installe trop volontiers dans les habitations étant justement mesurée, il convient de relever les traits qui rendent si intéressant le monde des araignées. Animaux ne vivant que de proie, ils ne sauraient provoquer le dégoût que fait naître la recherche de certains genres d’alimens. Animaux insectivores, ils contribuent à la destruction des bêtes nuisibles à nos végétaux cultivés ; c’est bonne fortune pour le propriétaire si dans le verger ou dans le vignoble les araignées sont nombreuses. Les particularités de la conformation extérieure et mieux encore l’organisation interne, dénoncent des êtres d’une perfection qui ne cesse d’étonner les investigateurs et qui doit inviter à la curiosité tous ceux qui tiennent en estime la connaissance des phénomènes de la vie.

Cependant, parfois, dans le monde où l’on s’inquiète peu des humbles et des faibles, l’attention s’éveille sur les araignées. On se prend d’admiration pour les tissus fins et délicats qu’elles confectionnent. Dans l’antiquité grecque, où la poésie florissait dans toutes les circonstances, on attribuait à l’araignée, en considération de son travail, une noble origine. Une jeune Lydienne, la gentille Arachné, incomparable dans l’art de tisser, n’avait pas craint de défier Minerve. Aussitôt punie de son imprudence et de son audace, la gracieuse artiste, dit la fable, condamnée à perdre toutes les séductions de la femme, avait été changée en araignée. En perdant les séductions de la femme, elle conservait son nom et ses talens. Dans les temps modernes, on se laisse entraîner par un courant sympathique en songeant au prisonnier au fond de son cachot ayant pour amie, pour consolation, une araignée qui vient à son appel. Chacun se plaît à voir par la pensée le captif de la Bastille, Pellisson, trompant l’ennui de la journée en considérant de longues heures l’animal qui avait tendu sa toile contre la lucarne de sa misérable cellule.


I

Dans les deux hémisphères, de la zone torride aux régions les plus froides, vivent des araignées. Sur toute terre, instruits ou ignorans, les hommes distinguent ces êtres, qui frappent par un aspect singulier en même temps que par des aptitudes et des mœurs d’une