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une élévation, en plein air, à la porte de son château de Chantilly, dans le voisinage des architectures fermes et sobres de son favori Jean Bullant et des deux successeurs habiles et respectueux de Bullant, Duban et M. Daumet. Le style du château s’imposait à la statue. C’est ce que M. Dubois a compris avec une rigueur de conscience qui, en tout autre endroit, eût pu sembler excessive, mais que l’entourage imposait ici à son intelligence d’artiste.

Dans ce milieu seigneurial et pacifique, il a donc représenté le grand seigneur droit en selle, la tête fixe, sur un cheval de belle encolure, qui, d’un pas réglé, s’avance tranquillement comme pour la parade. L’armure complète, d’un travail savant et fin, annonce l’homme de guerre en même temps que l’amateur de beaux harnachemens. La toque de velours, qui laisse à découvert le visage énergique et sagace, rassure sur ses intentions présentes. La longue épée, dont la garde est un croissant, qu’il tient haute et ferme dans son poing est certainement une bonne arme : le connétable a prouvé qu’il sait s’en servir. Ici, c’est surtout un emblème de sa fermeté et de sa fidélité, c’est l’épée que tient, dans ses armoiries, une dextre inflexible sortant des nuages avec la devise grecque appropriée grec. Dans l’attitude, dans le geste, dans la physionomie réside cette volonté réfléchie et tenace qui en imposait à tous ses contemporains. C’est bien le chef que rien n’étonne ni ne courbe, celui qui, criblé de blessures, agonisant dans son hôtel de la rue Sainte-Avoye, répond au moine qui l’exhortait à bien mourir : « Croyez-vous qu’ayant bien vécu près de quatre-vingts ans, je ne sache pas mourir un quart d’heure ? » Le cheval, dont la tête est modelée avec la précision et la vigueur florentines, dont tous les membres bien nerveux et bien musclés se lient dans un mouvement soumis et contenu jusqu’à la raideur, semble obéir, par une longue habitude, au tranquille cavalier, dont l’esprit le guide plus que la main. On dirait une effigie de François Clouet, fière et fine, agrandie à force d’intelligence et de patience, et transportée d’un panneau dans le bronze. Comme restitution historique, on ne saurait imaginer une œuvre plus complète. Il est à désirer que l’imagination sculpturale de M. Dubois ne soit pas toujours contrainte de s’enfermer dans des limites si définies, mais cette contrainte même aura donné à son talent une fermeté plus vigoureuse qui lui permettra d’aborder des entreprises plus hardies.

Notre glorieuse et souvent douloureuse histoire ne manque pas de héros à tenter le ciseau des grands artistes. Combien il nous plairait de voir quelque jour M. Mercié et M. Dubois se mesurer avec nos grandes figures nationales, celles qu’on a déjà bien souvent ressuscitées, celles qu’on peut rajeunir toujours, comme faisaient