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Hassan, qui combattent avec lui côte à côte dans ses expéditions ; cela ne les empêche point d’être en lutte l’une contre l’autre et de se traiter en ennemies. Et il y a en Europe des personnes qui parlent du gouvernement du Maroc comme d’un gouvernement européen ! Et il y en a qui s’imaginent que le sultan n’a qu’à donner des ordres pour faire tout ce qui lui plaît dans son pays ! On parle sans cesse de son despotisme : on ne soupçonne pas combien il est limité en étendue, s’il ne l’est pas en intensité ! Quoi qu’il en soit, nous marchâmes sans escorte vers les Ouled-Delim, qui nous attendaient immobiles, n’ayant garde de mettre le pied sur le territoire de leurs adversaires, ce qui aurait peut-être amené, sous nos yeux mêmes, une rixe sanglante. Le goum des Ouled-Delim était considérable ; mais nous savions que le chef de la tribu, le caïd Embarek-ben-Chelieh, était un vieillard, et nous ne fûmes pas médiocrement surpris, en arrivant près de la ligne des cavaliers, de voir qu’elle était commandée par un jeune homme borgne, lourd et sans grâce, et par un enfant qui n’avait certainement pas plus d’une douzaine d’années. Tous deux étaient les fils du cheik Embarek : ils nous dirent que, si celui-ci n’était pas venu à notre rencontre, c’est que, dévoré d’une fièvre persistante, il était obligé, depuis de longs mois, de rester enfermé chez lui. Nous acceptâmes une si bonne excuse et nous nous mimes en route. Le jeune homme borgne s’était placé à côté de M. Féraud ; quant à l’enfant de douze ans, il était resté à la tête du goum, qui se tenait sur le revers de la colline, la vallée étant entièrement occupée par notre convoi. C’était un singulier type, très laid, et cependant tellement intéressant qu’on ne pouvait le quitter des yeux dès qu’on l’avait vu une première fois. Il montait un gros cheval, qu’il maniait avec une singulière aisance et non sans coquetterie, cherchant à l’exciter, à le faire se cabrer, à l’enlever au galop dans les endroits les plus difficiles. Son corps, grêle et fluet, enveloppé d’un vêtement blanc, en partie recouvert d’un manteau brun, se soulevait crânement au-dessus de l’énorme bête. Sa tête ressemblait d’une manière frappante à celle d’un Japonais : il en avait le teint jaunâtre, les yeux très noirs et relevés sur les côtés, le nez également relevé, la bouche fine et dure. Sa tête était absolument nue ; seulement, la tribu des Ouled-Delim étant amâzigh, sur son oreille droite pendait la mèche tressée qui, chez les Berbères du Maroc, comme chez les Égyptiens d’autrefois, est le signe de la jeunesse. Par un raffinement de coquetterie, cette mèche ne se détachait pas directement du crâne ; elle était entourée d’une plaque de cheveux ébouriffés avec art, en sorte qu’on eût dit une toque élégante terminée par un gland retombant presque jusqu’au cou. Je ne sais trop ce qu’il fallait penser de la