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de même métal, et que cette modification si grave dans le régime monétaire de l’Union fut effectuée sans discussion publique dans le pays, presque sans débat dans le sénat et dans la chambre. Il y a quelques mois, une lettre publiée dans la Pall Mall Gazette de Londres par un ancien fonctionnaire de l’Union contenait, contre les auteurs des lois monétaires américaines de 1873, des accusations plus précises : « Le directeur de la monnaie et le contrôleur de la circulation, ayant été chargés d’une révision et d’une codification des lois monétaires de l’Union, omirent à dessein le mot dollar de la liste des monnaies d’argent, dont la frappe devait rester autorisée sur demande des porteurs de lingots, et cette omission échappa au congrès lorsqu’il eut à sanctionner de son vote le code qui lui était présenté. » Comme la monnaie divisionnaire, seule monnaie d’argent existante en dehors du dollar, n’avait eu de tout temps pouvoir de libération que comme appoint et pour un montant limité dans chaque paiement, l’omission du dollar argent aurait par là suffi pour révolutionner tout le système de circulation métallique des États-Unis, et pour changer la mesure de la valeur, en réservant désormais aux seules pièces d’or le caractère de monnaie légale. Ce serait donc par une pure supercherie qu’aurait été ainsi introduite, dans la législation américaine, cette grande mesure de la démonétisation de l’argent, et ni la chambre et le sénat, ni le président Grant et ses ministres, ni les banquiers, les gens d’affaires et les négocians, personne enfin dans toute l’Union ne se serait aperçu de la fraude commise par des fonctionnaires infidèles.

Cette hypothèse est bien invraisemblable. Les questions monétaires tenaient une place assez grande, en 1873, dans les préoccupations de l’opinion publique, pour qu’il ait été impossible d’escamoter devant tout un congrès un type de pièce métallique aussi respectable que le dollar argent, dans un morceau de législation d’une telle importance, puisqu’il ne comportait rien moins que la révision de toutes les lois monétaires. La plupart des états de l’ouest étaient en proie à la fièvre de l’inflation. On avait déjà, livré maints combats pour ou contre le maintien indéfini du cours forcé ou la reprise des paiemens en espèces. Les fluctuations de la prime de l’or étaient suivies avec une grande attention. On observait curieusement la rapidité avec laquelle s’amortissait la dette publique et se relevait le crédit fédéral. On ne saurait donc, a priori, admettre que l’argent, en 1873, ait été démonétisé à l’insu de tout le monde et par le succès d’une ruse grossière.

D’ailleurs, les faits historiques sont en contradiction complète avec ce système. Ils établissent que le pays avait été dûment et