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Toute la décoration murale est une restitution d’un étonnant caractère. A quelques pas du maître, respectueusement, se tiennent trois élèves ou aides qui regardent de loin son ouvrage. Sur la gauche, un dominicain s’entretient avec un autre artiste, barbu et chevelu, d’une attitude grave. Un religieux, debout sur un banc de pierre, pose une lanterne allumée au pied d’un bas-relief de la madone encastré dans le mur. Dans cette composition, M. Puvis de Chavannes a précisé avec plus de force que dans la précédente les formes de ses personnages, qui, d’ailleurs, sont tous vêtus.

Le panneau central qui encadre une porte, n’est plus, au moins par le sujet, une simple évocation du passé. Le Rhône et la Saône y sont représentés, comme ils le furent déjà par Coysevox, sous des formes humaines et symbolisent, suivant la notice, la Force et la Grâce. A gauche, la Saône, jeune femme blanche et pâle, dont le corps languissant se détache sur un fond brumeux de saulées grises, s’affaisse sur ses jambes mal assurées, toute prête à se laisser saisir, tandis qu’à droite, le Rhône, pêcheur rude et vigoureux, ceint d’herbes sauvages, debout, au pied de robustes futaies, dans un horizon de rochers sévères, ramasse son filet bourbeux pour le lancer sur sa belle proie. L’allégorie est ingénieuse et poétiquement exprimée par le contraste bien entendu des attitudes, des paysages, des couleurs. Ces trois compositions, en somme, compléteront parfaitement la décoration déjà commencée du palais Saint-Pierre. Lorsqu’elles seront en place, à la hauteur et dans le demi-jour qui les attendent, les plus difficiles oublieront certaines abréviations ou duretés de formes qui s’exagèrent, à courte distance, sous le jour violent du Palais de l’Industrie, mais qui s’atténuent sensiblement dans l’intérieur d’un édifice, et ils admireront sans hésitation l’ensemble harmonieux d’une œuvre élevée et sérieuse, longuement méditée et savamment poursuivie, où l’auteur de l’Enfance de sainte Geneviève, au Panthéon, aura donné une preuve nouvelle de son entente exceptionnelle de la décoration monumentale.

De ce que M. Puvis de Chavannes est un artiste supérieur, s’ensuit-il cependant qu’il faille, en tout et pour tout, le prendre pour exemple? Nullement, en aucune manière, même dans ses qualités, si hautes qu’elles soient. Son système de décoration murale, par grands parti-pris d’harmonies douces et calmes, de lignes sobres bien équilibrées, de figures sommaires à gestes naïfs, sans action hâtive et sans modelés précis, fort bon lorsqu’il l’applique lui-même sur des murs plats, dans un édifice sévère, deviendrait détestable si on l’employait à tort et à travers, au milieu d’une