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Mendelssohn, j’attendrais ces vers que récite pourtant l’Obéron de Shakspeare et de M. Meurice :


Titania, prêtons un cœur compatissant
Aux douleurs, aux combats de l’homme, ce passant !
Qu’il sente errer autour de lui, dans la nature,
Témoins mystérieux de sa sombre aventure,
Les Esprits ; et qu’il ait, dans la joie ou l’ennui,
Ces amis inconnus toujours penchés vers lui.


Dans l’ouverture, et surtout dans le scherzo du Songe, dans cette éblouissante fusée de musique, il y a plus d’esprit que de sentiment, plus de verve moqueuse que de tendresse. Mais c’est là ce qu’il fallait au poème de Shakspeare, à ces lutins malicieux que divertit, dans la forêt d’Athènes, le chassé-croisé des quatre fiancés et l’imbroglio de leur double cache-cache d’amour.

Aussi bien les esprits du Songe ne sont que malins, sans méchanceté, et nous les voyons au dénoûment bénir les deux couples dûment appareillés. Un maître plus sombre que Mendelssohn, Schumann, dans son Manfred, a livré l’homme à des puissances autrement redoutables, non plus à des génies espiègles, mais à des démons terribles. Les deux œuvres trahissent deux pensées et deux styles différens : d’une part, l’irritation et l’âpreté ; de l’autre, la sérénité et la paix. Manfred est un poème de larmes et de sang, le Songe un divertissement inoffensif, une aimable féerie. C’est en écoutant Mendelssohn, et non Schumann, qu’on finirait presque par croire, avec M. Renan, à l’intention généralement bienveillante de l’univers.

C’est que Mendelssohn ne fut pas une âme sceptique, encore moins une âme désolée. Il connaît la passion qui anime la vie, mais non celle qui la trouble ; la mélancolie, mais non le désespoir. Dans l’allegro appassionato du Songe, dans l’allegretto de la symphonie-cantate ; dans certaine phrase encore de la symphonie écossaise, où se trouvent le même rythme et la même tonalité, partout l’émotion est contenue : ce n’est pas le vent qui soulève les hautes vagues ; c’est la brise qui met seulement un flocon d’écume à la crête des flots.

Notre époque nerveuse, névrosée, comme disent quelques barbares, trouverait volontiers l’inspiration de Mendelssohn trop sage, trop saine. Au gré d’un critique distingué, que nous ne saurions, sans être soupçonné de jouer sur son nom, appeler un maitre, la musique du Songe, que d’ailleurs il déclare exquise, n’est point assez fantastisque ni assez lunaire. Il voudrait là de ces mélodies « qui semblent vous couler comme une caresse inquiétante tout le long de la moelle épinière, et qu’Alphonse Daudet compare à des piqûres de morphine