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le plus avant possible dans la vie privée des écrivains grands et petits ; et « jusqu’à leurs chaussettes, » dirait Madelon, rien de ce qui les touche ne nous parait indigne de notre curiosité. Que cette chasse aux vieux papiers ait souvent pour cause une manie puérile et pour seul résultat du fatras, que l’étude directe et l’intelligence des œuvres en souffrent, que même le sentiment littéraire et la passion des recherches soient parfois en raison inverse l’une de l’autre, les exemples fameux ne manqueraient pas pour l’établir. Il faut reconnaître, cependant, que, pour Molière en particulier, cette curiosité a renouvelé sa biographie, et, en fin de compte, augmenté l’intérêt de ses œuvres. J’essayais récemment de le montrer en étudiant la femme du poète et ses deux plus fidèles camarades, Madeleine Béjart et La Grange[1] ; je voudrais aujourd’hui faire la même enquête sur l’origine du poète et sa famille.

Grimarest en disait lui-même fort peu de chose, et ce peu était mêlé d’erreurs et d’inventions. Il faut descendre jusqu’en 1821 pour obtenir véritablement du nouveau avec Beffara. En consultant les actes de l’état civil, l’estimable commissaire de police indiquait une excellente méthode de rectification et de découverte ; Jal l’imita ; enfin Eudore Soulié, dépouillant, lui, les minutiers de notaires, compléta la méthode et, en 1863, par la publication de ses admirables Recherches sur Molière et sa famille, offrit aux curieux une quantité de pièces présentées avec une modestie, interprétées avec une sûreté bien rares de tout temps chez les érudits, uniques en notre siècle. Depuis, on n’eut plus qu’à glaner sur les pas de ces trois chercheurs, et, si le fonds primitif s’est enrichi de quelques trouvailles intéressantes, c’est à leurs indications qu’on les doit. Que résulte-t-il, en somme, de ces découvertes grandes et petites ? A part le don sacré qui s’appelle le génie et que rien n’explique, que nous apprennent-elles de certain ou de probable sur ce que Molière dut à sa famille et à sa première éducation ? La réponse à ces questions sera facile après avoir groupé autour de son père, Jean Poquelin, les principaux renseignemens obtenus par un demi-siècle de recherches.


I

Il semble prouvé qu’il y avait à Beauvais, dès la fin du XIVe siècle, dans la moyenne bourgeoisie, une famille Pocquelin ou Poquelin, dont la filiation s’établit régulièrement à partir de 1553. De cette souche sortirent deux branches transplantées à Paris. L’une,

  1. Voyez la Revue des 1er mai, 15 juin et 1er octobre 1885.