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vengeance. » M. de La Villetreux ajoutait que, si le gouvernement avait été sincère, il ne se serait pas borné à l’arrestation de Garibaldi, il se serait assuré de ses fils et de ses principaux lieutenans.

M. Rattazzi avait trop compté sur son habileté. Il se voyait acculé dans une impasse, entraîné par le sentiment public, débordé par la révolution et déçu dans ses combinaisons diplomatiques. Il avait compté sur l’appui de l’Angleterre, spéculé sur l’intervention de la Prusse et sur les défaillances de la France, et l’événement démentait toutes ses prévisions. Le cabinet de Londres et le cabinet de Berlin restaient insensibles à ses appels, et, en France, l’opinion s’agitait ; les journaux catholiques dénonçaient la duplicité du ministère italien et sommaient le gouvernement impérial de faire respecter la convention du 15 septembre.

Le ministre italien était dérouté : l’empereur manifestait une énergie qu’il ne lui soupçonnait pas, l’Angleterre se dérobait et le comte de Bismarck répondait à ses doléances et à ses sollicitations par des paroles d’une correction décourageante. Comment concilier le langage si mesuré du chancelier avec les encouragemens de ses organes occultes ou attitrés ? Le commandeur Rattazzi avait pris ses désirs pour des réalités. Ceux qui lui disaient être dans le secret des dieux avaient abusé de sa crédulité ; le comte d’Usedom s’était mépris sur le sens et la portée de ses instructions ; Frédéric II en avait remontré à Machiavel. Du reste, tous les diplomates accrédités à Florence s’y étaient laissé prendre ; l’attitude du ministre de Prusse et de son personnel les avait frappés, ils en avaient conclu qu’il y avait connivence entre les deux gouvernemens et que, si l’Italie menaçait le saint-siège et bravait la France, elle y était secrètement encouragée par le cabinet de Berlin : « Au milieu de ces graves événemens, écrivait M. de La Villetreux au commencement du mois d’octobre, la tenue du corps diplomatique à Florence est des plus réservées. Les représentans des puissances catholiques principalement tiennent à honneur, en face des manifestations hostiles au saint-siège, à garder une attitude digne et circonspecte. Tel n’est pas tout à fait le cas du personnel de la légation de Prusse. Si M. d’Usedom se contente de laisser entendre qu’il comprend les aspirations de l’Italie[1] et son désir de s’annexer les états du

  1. « Le comte d’Usedom était un esprit positif et idéologue à la fois, un diplomate savant doublé d’un poète et d’un artiste, un gentilhomme poméranien amoureux de la renaissance. Il était sous le charme de l’Italie, il en avait la passion, il était ce que nous appelions en France un italianissime ; son culte s’étendait jusqu’à Garibaldi, on disait même jusqu’à Mazzini inclusivement. Il préconisait les avantages d’une alliance entre la Prusse et l’Italie. Il la préparait en tenant maison ouverte et en prouvant par son érudition, par une connaissance profonde et variée du passé glorieux de l’Italie que personne ne comprenait mieux que lui ses nécessités présentes. Il n’en fut pas moins, après que l’Italie eut réalisé ses destinées, rappelé à Berlin, victime de la politique qu’il avait servie avec tant de zèle et de bonheur, méconnu à la fois par M. de Bismarck et le général La Marmora. » (La Politique française en 1866.)