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de la pensée contemporaine, car ce que nous avons le plus d’intérêt à connaître, ce sont les hommes.

Voyez plutôt. Nous venons de nous occuper du système de M. Henri George. Il ne s’agissait que de nous renseigner. C’était un phénomène dont nous désirions nous rendre compte, une pure satisfaction donnée à notre besoin de connaître et de savoir, à la légitime curiosité qui est un des traits de notre nature. Mais comme tout cela nous semblait éloigné, étranger à nos circonstances particulières et d’un intérêt purement spéculatif !

Eh bien ! non. Voilà qu’à nos portes mêmes, tout près de nous, chez nos voisins les plus proches, le socialisme agraire a des avocats, des admirateurs, un petit parti qui travaille à l’implanter, et qu’en France même il a fait son apparition.

Pour nous en tenir aux noms les plus marquans de notre temps, nous voyons qu’en Allemagne ce n’est pas seulement Ferdinand Lassalle, dont nous parlions plus haut, et M. Karl Marx, le promoteur et l’âme de l’Internationale, qui font le procès de la propriété foncière individuelle, puisqu’ils veulent, comme on sait, restituer la terre à la collectivité, en même temps que le capital et les autres richesses. C’est encore à cette heure même un homme considérable, un penseur, que la sociologie, le jour où elle sera parvenue à se constituer, réclamera comme l’un de ses précurseurs, un politique, un ancien ministre du cabinet autrichien, dans lequel il a tenu le portefeuille de l’agriculture et du commerce, M. A.-E. Schaeffle. Le public français peut lire de lui une substantielle brochure : la Quintessence du socialisme, tirée d’un de ses grands ouvrages et traduite par M. B. Malon, un ancien membre de la Commune, pour la Bibliothèque socialiste qui se publie à Paris.

La Belgique a été, de son côté, un des berceaux du socialisme agraire. C’est elle qui a envoyé à la France le baron Colins, qui, malgré ses titres de noblesse, a montré, dans la collectivité du sol, le grand remède aux misères de notre temps. Voici encore Huet, qui déclarait que la qualité d’homme entraine un droit à la terre, et son éminent disciple, M. Émile de Laveleye, qui, tout en critiquant avec une grande pénétration les systèmes socialistes, a fait pourtant des concessions très importantes aux opinions sur lesquelles ils se fondent, témoin ces doux passages empruntés à son livre : De la propriété et de ses formes primitives, paru en 1877.

« La propriété, considérée comme un droit naturel appartenant à tous, est seule conforme aux sentimens d’égalité et de charité que le christianisme fait naître dans les âmes et aux réformes des lois civiles que le développement de l’organisation industrielle paraît commander.