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du vol et le prompt châtiment d’un des leurs, semblait avoir troublé leur égalité d’humeur.

Dans l’après-midi nous nous rendîmes à Fango-Tongo. Nous trouvâmes les notables réunis dans l’édifice public où deux jeunes filles préparaient le kava à grand renfort de mâchoires. Nous ne fûmes pas invités à prendre part au festin. J’aperçus dans cette noble compagnie le voleur de ce matin. Il tenait une courte pipe entre ses dents et nous lança des regards insolens. Mais les choses en restèrent là.

Ni ici ni à Fango-Tango, il n’y a des missionnaires à poste fixe, wesleyens ou autres. Des instructeurs indigènes sont chargés de la cure des âmes. Celui du village, un homme d’à peine cinquante ans, mais qui avait déjà l’air d’un vieillard, nous mena dans sa maisonnette. C’était une hutte comme toutes les autres. Une fenêtre à carreaux et quelques livres d’hymnes rappelaient cependant l’Europe. Sur la natte étaient étendues deux jeunes filles. On nous servit du lait de coco ; ce breuvage fut fort apprécié par les deux blancs, exténués de fatigue et de chaleur.

En continuant notre promenade, nous aperçûmes assis sous la porte de sa cabane un Européen qui nous fit signe d’entrer. C’était le Norvégien, ancien matelot et maintenant trader, le même dont j’ai parlé plus haut. Il nous raconta les péripéties de la dernière guerre, et nous avoua que les deux factions lui avaient fait de fortes commandes de fusils à aiguille, preuve certaine que la guerre recommencerait dès le retour des chefs ennemis. Les ruines de huttes incendiées, de cocotiers coupés et les troncs d’arbres calcinés qui entouraient son habitation fournissaient un triste commentaire à son récit.

La population mâle, réunie sur une place ouverte près de la mer, se livrait aux plaisirs du lawntennis ! C’est leur manière de se civiliser. Tout chemin mène à Rome.


28 juin. — L’heure du départ a sonné. Hier matin, l’Espiègle, entouré d’un grand nombre de canots, tous remplis de tritons et de naïades, leva l’ancre. Au dernier moment, la duchesse vint à bord. Elle était très simplement mise et semblait triste et préoccupée. Comme le capitaine l’exhortait à conserver la paix, elle répondit en secouant la tête : « Impossible, mauvaises gens, pas bons, mauvais sentimens, bad feelings. »

Notre navire glissa doucement entre les coulisses des rochers cachés sous le feuillage qui forment les différens petits promontoires du fjord, et après avoir gagné la haute mer, mouilla l’après-midi