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au moment où l’allaitement maternel devint à la mode, étonne les contemporains. Les sentimens que les médecins inspiraient rappelaient ceux des directeurs de conscience à la fin du règne de Louis XIV. L’usage des salons avait donné aux médecins un esprit délié, des manières douces, en même temps que la connaissance du cœur humain. Ils en étaient venus à montrer une âme sensible, suivant le jargon usité, et c’était du célèbre Lorry qu’une dame de qualité disait : « Il est si au fait de tous nos maux que l’on dirait qu’il a lui-même accouché. »


II.

C’est ainsi que la haute bourgeoisie se préparait de jour en jour au rôle qu’un avenir prochain lui destinait. Elle était tout, et elle n’était encore rien comme pouvoir public. Les femmes le sentaient autant que leurs maris.

Leur éducation les avait avant tout disposées à la vie de famille. Elles avaient, en province plus qu’à Paris, reçu une instruction sévèrement religieuse, mais d’une pratique raisonnable. Sans doute, le règlement des classes de Port-Royal qu’avait rédigé Jacqueline Pascal, sœur Sainte-Euphémie, n’était plus pratiqué dans les couvens. L’esprit janséniste avait cependant survécu dans les habitudes domestiques. On habituait les jeunes filles au sérieux ; on les façonnait au respect, et d’abord au respect d’elles-mêmes ; les actes de dévotion n’étaient pas multipliés ; ils paraissaient trop graves pour être accomplis sans trouble de conscience. Les parens n’aspiraient pas à ce qu’il fût donné aux filles des connaissances étendues ; un fort enseignement, fondé sur la morale chrétienne, semblait suffisant pour former leur bon sens et leur raison. La mère de famille, dans la haute bourgeoisie, était préparée à avoir l’autorité. Par l’effet du caractère et de la dignité de la vie, l’ascendant se maintenait jusque dans la vieillesse. Les femmes étaient les égales de leurs maris, quand elles ne leur étaient pas supérieures par la force d’âme. Elles possédaient donc les qualités essentielles pour bien élever les enfans et elles ne les abandonnaient pas aux mains des serviteurs, comme faisait la noblesse.

Lorsque les lettres de cachet du 29 décembre 1752 firent fermer les dernières communautés jansénistes où l’on élevait la plupart des jeunes filles de la bourgeoisie, déjà le souffle mondain du siècle transformait les maisons d’éducation. Sans ressembler aux riches couvens des Flandres et de Normandie, où chaque demoiselle avait son appartement, où les visites d’hommes étaient admises aux grilles, la rigidité de la tenue s’était détendue sans que les principes eussent varié ; et comme les couvens donnaient parfois