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avaient été expulsés. Après avoir ruiné les écoles de Port-Royal et lutté jusqu'à la dernière heure contre leurs méthodes et contre leur ascendant pédagogique, ils avaient laissé le champ libre à des rivaux. L’Oratoire avait plus particulièrement essayé de combler la profonde lacune laissée dans l’enseignement par la compagnie de Jésus. Des principes différens inspiraient les oratoriens. Une réforme importante était accomplie par eux. Ils exigeaient qu'on se servît de la langue française pour les premières études grammaticales. Le progrès général des idées se faisait sentir dans leurs procédés d’éducation ; on avait enfin renoncé, dans les leçons de morale, à défendre les casuistes des XVIe et XVIIe siècles.

La haute bourgeoisie envoyait ses fils dans les collèges en renom, mais les oratoriens, fort à la mode, n’avaient pu suffire aux besoins de la province. Les pères de la doctrine chrétienne, les bénédictins de Saint-Maur, partageaient avec eux l’héritage des jésuites. Royer-Collard et Joubert avaient été élevés par les doctrinaires : l’un à Saint-Omer, l’autre à Toulouse. Le premier, plus imbu des traditions de Port-Royal, y avait puisé la puissante méthode qui dirigea son éloquence et cette indépendance, cette force de jugement, qui lui firent accepter la révolution sans se laisser dominer par elle. Joubert devait à ses maîtres d’avoir pénétré les secrets de l’antiquité latine et grecque, et ce sentiment que rien n’était plus beau, après les armes, que l’étude et la vertu.

La plupart des jeunes gens de la bourgeoisie apprenaient ensuite, dans les écoles de droit, la législation compliquée d’après laquelle on rendait la justice et s’administrait la monarchie. Tous s’attarchaient, en ces années fécondes, à la lecture de Locke, de Montesquieu, de Rousseau, acceptant leurs opinions sur les droits et les devoirs de l’homme en société, en attendant le moment de les mettre en pratique ! Mais le fond de leurs études était, avant tout, la science juridique : non-seulement le droit romain qui, dans la moitié de la France, était la plus solide base de l’ordre civil, mais le droit canonique, le droit féodal qui régissait encore certaines conventions, le droit coutumier dont les dispositions aussi variées que bizarres formaient le code de l’autre moitié du pays, enfin, les ordonnances royales qui, sur des points importans, avaient constitué un droit nouveau. Au sortir des écoles, les uns se faisaient recevoir dans une cour souveraine, d’autres achetaient une charge; les plus riches visaient celle de maître des requêtes, qui coûtait 100,000 liv. C'était la plus recherchée. Dans ce corps se prenaient, en effet, les intendans des provinces, les conseillers d’état. Les fils de négocians enrichis recherchaient de préférence une place dans les bureaux de finances.

A Paris, des générations se succédaient aux fonctions de commis