Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Les princes, a dit La Bruyère, sans autre science ni autre règle, ont un goût de comparaison ; ils sont nés et élevés dans le centre des meilleures choses, à qui ils rapportent ce qu'ils lisent, ce qu'ils voient, ce qu'ils entendent. » La reine Augusta avait vécu dans l’intimité du plus grand génie littéraire du siècle, et elle n’oubliait pas ce qu'elle avait vu, lu et entendu. Goethe l’avait initiée à la poésie, à la philosophie ; il lui avait appris que la force brutale ne primait pas la puissance intellectuelle. Exempte de préjugés, sa vie vouée aux œuvres de l’esprit, au culte de la charité, montrait qu'elle était digne d’un si grand enseignement. Elle avait les amitiés longues, sûres, fidèles, et le courage de ses pensées. Les ambitions de la politique, les rivalités et les haines qu'elle engendre n'avaient pas de prise sur son âme ; les sympathies qui dès sa jeunesse l’attiraient vers la France, si grande alors par l’éclat de sa littérature, de son éloquence, de sa science et de ses œuvres d’art, devaient résister à toutes nos vicissitudes[1]. La reine jouissait des élégances de Paris, elle admirait le faste que déployait la cour, sans toutefois l’envier; elle n’eût pas échangé la vie calme, réglée de son modeste palais de Coblentz contre les agitations et les splendeurs des Tuileries. Elle rendait hommage à la beauté de l’impératrice, en qui elle trouvait réunies à la noblesse d’une Espagnole l'aisance et la grâce d’une Française ; elle plaignait l’empereur, dont le front lui paraissait voilé de noirs soucis.

« Je crois, disait-elle, que Napoléon III, le marquis de Moustier et M. Rouher désirent sincèrement vivre en paix avec nous et tout le monde, mais l’armée et les partis cachent à peine leurs ressentimens contre la Prusse et le désir de se mesurer avec elle. Cependant, ajoutait-elle, pour corriger cette impression, on s’efforce, même dans les cercles où l’on ne nous aime pas, à ne pas me le faire sentir, et partout on me ménage un accueil empressé et sympathique.» La reine pensait que, si l’empereur modifiait sa politique intérieure et inaugurait le régime représentatif, qu'elle tenait comme le meilleur pour les gouvernemens et les peuples, il pourrait sans guerre vaincre les difficultés croissantes qui menaçaient de fondre sur la France comme un orage. Notre armée lui laissait une bonne impression, bien qu'elle trouvât que l’armée prussienne ne le lui cédait en rien. Elle n’en souhaitait pas moins sincèrement la paix pour que la Prusse pût terminer en sécurité l’œuvre si glorieusement commencée : « Je tiens pour la paix, disait-elle; le dieu d’airain de la guerre n'a jamais eu de charme pour moi, même couronné de lauriers. »

Depuis l’évacuation du Luxembourg, la diplomatie prussienne avait constaté dans l’attitude des ministres dirigeans des états

  1. La reine Augusta a témoigné pendant la guerre à nos blessés et à nos prisonniers la plus touchante sollicitude.