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reconnaissans. Ils vénèrent le tsar « libérateur et protecteur. » La communauté de race et de religion constitue un lien puissant. Les soldats russes, doux, bons, complaisans, s’étaient fait aimer de tous. Enfin, le premier gouverneur, le prince Dondoukof, avait admirablement administré le pays, créant l’année, ouvrant des écoles, poussant à la construction des routes, inspirant à ces populations, brisées par un despotisme séculaire, le respect de leur dignité et la confiance en l’avenir, Malgré tout cela, les Bulgares n’ont nulle envie de devenir Russes, ni même de continuer à être gouvernés par les Russes. La façon dont on s’est affranchi de leur bienveillant appui, et en Roumélie et récemment en Bulgarie, le prouve suffisamment. Mais s’ils ne devaient rencontrer chez toutes les autres puissances qu’indifférence ou hostilité, ils se tourneraient vers la Russie : qui pourrait leur en faire un reproche ? D’ailleurs, par opposition à l’Autriche, les envoyés russes, et surtout M, Joanin, ont toujours soutenu le parti libéral. Veut-on écarter définitivement tout danger de voir les Bulgares devenir un jour les instrumens des desseins ambitieux que l’on prête à la Russie dans ces parages, qu’on leur permette de constituer un état assez fort pour se suffire et pour n’avoir plus à redouter un retour offensif de la Turquie. L’union de la Bulgarie et de la Roumélie, qui vient d’être proclamée, était ardemment désirée par la population entière. Imposée par les convenances ethniques, géographiques et historiques, elle est certes aussi justifiée que le fut naguère celle de la Valachie et de la Moldavie, qui fut appuyée par la France, et même par lord Cecil, aujourd’hui lord Salisbury, chef du cabinet anglais. Cette union, sous la suzeraineté de la Porte, devrait être sanctionnée par l’Europe et par la Turquie, car elle ferait disparaître une cause de perturbation dans la Péninsule balkanique, qui menace la paix de l’Europe et qui achèverait la ruine des finances ottomanes.


EMILE DE LAVELEYE.