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la dauphine, les gentilshommes de la chambre. Éclatait-il, entre ses camarades, une de ces disputes si fréquentes dans ces milieux de vanités irritables, c’est lui qui était chargé d’intervenir officiellement et de réconcilier les adversaires. Au mois de décembre 1690, Poisson et Raisin se prennent de querelle en pleine assemblée ; d’une querelle particulièrement scandaleuse, à ce qu’il semble. Sur les instances faites auprès d’eux, ils consentent à un arbitrage et signent la déclaration suivante : « Nous remettons à la compagnie nos intérêts et tous nos ressentimens que nous pouvons avoir l’un contre l’autre, et promettons d’exécuter ce que la compagnie trouvera à propos pour nous accommoder et entretenir paix et amitié entre nous. » La Comédie s’assemble donc, examine l’affaire et rédige ainsi le procès-verbal de sa décision :


Ces deux messieurs seront amenés dans la grande salle d’assemblée, chacun par une porte différente, où, étant en présence l’un de l’autre, M. de La Grange leur prononcera ces paroles en présence de la compagnie : « Messieurs, nous avons examiné tout ce qui s’est dit et passé dans votre démêlé, jusques aux moindres circonstances; nous avons jugé à propos de n’en point rappeler ici le détail, persuadés que nous sommes qu’il est des plus avantageux pour l’un et l’autre d’ensevelir de pareils démêlés dans un oubli perpétuel. Vous avez remis vos intérêts entre nos mains: nous vous disons comme arbitres d’oublier pour toujours tout ce qui s’est passé, et nous vous prions, comme camarades, de vous rendre réciproquement votre estime, vous assurant que la compagnie gardera le souvenir de la déférence que vous avez eue pour elle. Il ne nous reste plus, messieurs, qu’à vous dire, en arbitres, de vous embrasser en notre présence pour confirmer l’accommodement.


Suivent les signatures et, en tête, celle de La Grange. Ces deux pièces décorent présentement, encadrées et en belle place, le cabinet de l’archiviste à la Comédie-Française. Elles n’en sont pas la moindre curiosité. On trouverait malaisément, en effet, une marque plus frappante de cette solennité que messieurs de la Comédie introduisaient volontiers dans leurs actes publics ou privés, avec un sentiment de la mise en scène qui n’est pas pour étonner de leur part : la rencontre de Mazarin et de don Louis de Haro, dans l’île de la Conférence, ne fut pas l’objet d’un protocole plus soigneusement étudié. D’autre part, la Comédie a bien fait d’orner, comme d’un titre d’honneur, ce sanctuaire de son histoire, avec un acte attestant d’une manière si éloquente l’estime dont La Grange étoit entouré. Bientôt, elle va donner comme pendant à ce procès-verbal l’unique signature