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se leva, courut à lui, l’embrassa en l’interrogeant et apprit de lui que l’asile de Mitau leur était retiré. Elle reçut cette nouvelle avec un grand courage, remerciant Dieu, dit-elle, de n’avoir à déplorer d’autre malheur que le sien et non celui de la France. Elle s’attacha à rassurer le roi. Elle serait heureuse partout où elle pourrait le suivre et vivre auprès de lui. Elle demanda ensuite s’il lui serait permis de consacrer à la mémoire de son père les deux jours suivans, ou si l’ordre de partir devait être exécuté sur-le-champ. Sur la réponse de son oncle, elle reprit ses dévotions.

Durant la journée, la nouvelle répandue dans Mitau y donna lieu spontanément à une manifestation de sympathies et de regrets. La foule se porta aux abords du palais. Il y avait là, à en croire un témoin oculaire, des gens de toutes conditions, des femmes, des vieillards, des enfans. Le roi ayant paru avec sa nièce, il y eut une poussée de cette foule vers eux. On s’inclinait sur leur passage, on leur baisait les mains. La noblesse courlandaise eut sa part dans ces démonstrations. Sans craindre de paraître désapprouver la rigueur déployée contre les exilés royaux, elle sollicita l’honneur d’être admise à leur faire ses adieux; elle leur offrit aussi ses services en vue d’adoucir la cruauté du maître.

Pendant ce temps, la petite cour procédait aux préparatifs de son départ, au milieu d’incidens qui témoignaient du trouble général. Le gouverneur de Mitau, d’Arsenief, croyait que la volonté exprimée par le tsar s’étendait aux gardes du corps. Sans pitié pour leur âge et leurs infirmités, il leur enjoignait de s’apprêter à suivre le roi. On eut beaucoup de mal à lui faire comprendre que l’uniforme russe dont ils étaient revêtus les protégeait, et qu’étant à la solde de l’empereur, ils devaient être considérés comme appartenant à ses armées. Il se laissa enfin convaincre et rapporta ses premières instructions. Le roi adressa alors à ces braves gens la proclamation que voici : « Une des peines les plus sensibles que j’éprouve au moment de mon départ est de me séparer de mes chers et respectables gardes du corps. Je n’ai pas besoin de leur recommander de me garder une fidélité gravée dans leur cœur et si bien prouvée par toute leur conduite. Mais que la juste douleur dont nous sommes pénétrés ne leur fasse jamais oublier ce qu’ils doivent au monarque qui me donna si longtemps un asile, qui forma l’union de mes enfans, et dont les bienfaits assurent encore mon existence et celle de mes serviteurs. » Dans une autre proclamation, le roi chargeait « son cousin le duc d’Aumont » d’assurer à ceux de ses fidèles serviteurs qu’il ne pouvait emmener avec lui que leurs traitemens seraient continués et de leur exprimer avec la douleur qu’il éprouvait en se séparant d’eux, l’espoir de les voir de nouveau réunis