Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le 17 mai 1537, le sultan partit de Constantinople, accompagné de ses deux fils, les princes Mohammed et Sélim ; le 13 juillet, il arrivait en Epire et dressait ses tentes sur les bords du golfe d’Avlona ; le 15 août, Khaïr-ed-din lui amenait du Bosphore la flotte ottomane composée de 100 vaisseaux. Doria, jusqu’à ce moment, était resté maître de la mer : cette prépondérance si utile allait cesser. Sorti le 17 juillet du port de Messine, avec 28 galères, Doria capturait 10 vaisseaux richement chargés et les livrait aux flammes ; le 22, il rencontrait à la hauteur de l’île Paxo, non plus des navires de commerce ou de transport, mais bien 12 galères turques commandées par Ali-Tchelebi, lieutenant du Sandjak-Bey de Gallipoli. L’amiral génois attaqua cette escadre une heure avant le lever du soleil. Le combat fut des plus acharnés ; Doria y perdit beaucoup de monde. Ses vaisseaux entouraient les Turcs : dans la demi-clarté d’un jour encore douteux, ils tirèrent les uns sur les autres. Debout sur le tabernacle, l’épée nue à la main, Doria, pendant une heure et demie, resta exposé aux flèches et aux arquebusades. Tel nous l’a dépeint, d’après le portrait de Sébastien del Piombo, le savant Alberto Guglielmotti, de l’ordre des frères prêcheurs[1], — la taille élevée, le visage ovale, le front large, le cou puissant, les cheveux courts, la barbe longue et en éventail, le regard profond, les sourcils froncés, les lèvres minces, — tel le virent les Turcs aux premières lueurs de l’aube. Son pourpoint cramoisi le faisait aisément reconnaître, au milieu de tous ces gentilshommes vêtus de blanc, qui avaient charge de couvrir de leur corps la personne de l’amiral et de défendre jusqu’à la dernière goutte de leur sang l’étendard : il fut assez gravement atteint au genou. Sa victoire heureusement était déjà complète ; quand il rentra dans le port de Messine, il traînait à la remorque les 12 galères capturées sur l’ennemi devant Paxo. Pour l’honneur de l’islam, il était temps que Khaïr-ed-din arrivât.

Le séraskier de l’armée de Roumélie, Loufti-Pacha, dévastait depuis plus d’un mois la Pouille, à la tête de 8,000 cavaliers et d’un corps d’infanterie beaucoup plus considérable encore : il prenait châteaux sur châteaux. Les murailles d’Otrante arrêtèrent à sa grande déception ses progrès ; la déclaration de guerre lancée contre Venise décida Soliman à le rappeler. Loufti-Pacha rejoignit Khaïr-ed-din dans le golfe d’Avlona. Quand nous faisons la guerre aujourd’hui, où sont les fruits apparens de la victoire ? Ni butin, ni esclaves ; pour toute moisson, de nouveaux sacrifices à faire : Loufti-Pacha ramenait de la Pouille 50,000 captifs, et pas un janissaire ne revenait au camp les mains vides.

  1. La Guerra dei pirati et la Marina pontificia, por il F. Alberto Guglielmotti, dell’ ordine dei predicatori, teologo casanatense. Firenze, 1876.