Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/840

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

su, par l’ampleur et la variété de ses compositions, leur frayer la voie ; et, avant lui, Pierre Breughel, qui, avec sa verve parfois un peu grossière, mais avec une force singulière, était déjà revenu à ces traditions de l’art indigène que son fils Jean devait si brillamment continuer.

Quand, avec les premières années du XVIIe siècle, la séparation des deux nationalités, aussi bien que celle des deux écoles, flamande et hollandaise, est nettement accusée, il n’est pas besoin de rappeler avec quel éclat Rubens, dès son retour à Anvers (1608), manifeste la grandeur et la généreuse fécondité de son génie. Nous avons dit ici même comment le maître, dans sa pleine maturité, se délassait des grandes tâches qu’il avait accomplies en répandant à profusion la vie et la lumière dans ces admirables tableaux de la Pinacothèque, dont les riches campagnes des environs du château de Steen lui ont fourni les motifs. À côté de Rubens, Teniers, devenu son voisin par l’acquisition du petit domaine de Perck, mérite aussi une place à part. Si spirituel qu’il soit comme peintre de genre, peut-être a-t-il manifesté des qualités plus exquises encore comme paysagiste lorsqu’il a peint ces ciels clairs, ces nuages légers traversés par le soleil, ces eaux transparentes au-dessus desquelles frissonnent des saules grisâtres, et ces chaumières à demi cachées dans les vergers que dominent le modeste clocher du village et les trois tours (Dry Toren) qui ont donné leur nom à la demeure du châtelain.

Mais ce sont là des exceptions parmi les Flamands. Le plus souvent, même chez les meilleurs, le paysage conserve ces formes apprêtées, ces arrangemens un peu artificiels et cette exécution expéditive dont tout le talent de Jacques d’Arthois ou d’Huysmans de Malines n’empêche pas de sentir la monotonie. Vous trouverez là des décors d’un effet piquant et même des morceaux de peinture tout à fait remarquables, mais jamais cette profondeur de sentiment ni cette diversité d’impressions, qu’une étude plus attentive et plus pénétrante de la nature leur eût méritées. Il était réservé à l’art hollandais de découvrir les beautés inattendues que peuvent renfermer les contrées les plus simples et de nous les révéler par des chefs-d’œuvre dont la vérité et la poésie n’ont pas été dépassées.


EMILE MICHEL