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c’est-à-dire Justine, que son maître allait se tuer. « Où est Raymond ? » demande fiévreusement la jeune femme. Et Brimonière, ingénument, répond : « Il est à la douche ! » Remise de son trouble et moins embarrassée que son interlocuteur, elle aperçoit l’enveloppe adressée à son nom. Elle l’ouvre et l’emporte : « Mais que dirai-je ? gémit l’autre. — Vous direz que j’ai pris les lettres. » Bientôt revenu et instruit de l’aventure, Raymond peste contre son valet, contre son ami, contre sa maîtresse : oh ! contre elle, surtout ! « qu’est-ce qu’elle a dit ? — Elle n’a rien dit ! — Elle n’a pas cherché à savoir ? — Rien du tout. — Mais quel air avait-elle ? — Elle n’avait pas d’air ! » cela ne peut se supporter, cela crie vengeance ! Raymond alors, plus clairement que jamais, aperçoit tous les défauts, tous les crimes de la belle Brimonière la défend, il le houspille ; vite il envoie à Mme de Maussans un billet méchamment ironique pour réclamer « en échange des lettres qu’elle a si adroitement reprises celles qu’il a eu la naïveté de lui écrire. » Et qu’il a hâte de partir, maintenant ! Va, Brimonière, résigner tes dossiers et faire tes malles !

Brave Brimonière ! A peine est-il sorti, Mme de Maussans rapporte elle-même ses lettres. A sa vue, Raymond éclate en imprécations amoureuses. Elle le laisse dire, et, pour toute réplique : « Comme vous devez être malheureux ! » fait-elle. Depuis la veille elle a réfléchi : elle a trouvé des excuses à l’impatience et à la jalousie de Raymond ; elle a compris qu’elle avait tort d’exiger que son amour restât secret ; elle est prête à s’appeler Mme Cordier : « Ah ! ma chère femme ! »

La pièce est finie, croyez-vous ? le Dépit amoureux ne va pas plus loin ; l’auteur nous fait part du mariage d’Éraste et de Lucile ; allons-nous-en. Non pas ! La lettre de faire-part, cette fois, a un post-scriptum ; et sans lui, vraiment, l’œuvre ne serait pas complète. Au moment où Raymond et Lucile se donnent la main, quelqu’un sonne ; c’est Brimonière. « Je n’y suis pas ! » s’écrie Raymond. Il ne se soucie guère de comparaître à présent devant le confident de tout à l’heure ; il ne se soucie pas surtout d’avoir avec lui une explication qu’entendra la jeune femme, et, comme elle insiste malicieusement pour qu’il le reçoive, il invoque des défaites : « Brimonière est très timide, et peu accessible aux choses de sentiment, C’est une nature brutale,.. excellente, mais brutale ! » Elle lui fait grâce de sa présence, elle se retire un moment. Raymond reçoit donc Brimonière, mais de quelle façon ! Avec quelle mauvaise foi il lui invente des torts ! Il se sent ridicule devant ce témoin de ses protestations récentes, il enrage de l’être, il prend l’offensive. Il accuse le malheureux de le narguer, de l’avoir nargué depuis le matin, d’avoir profité de sa confiance pour s’égayer de ses faiblesses et de n’avoir pas défendu contre lui, avec assez de force, l’innocente Mme de Maussans. Ahuri par cette