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et d’éducation, un mouvement contraire tend à se propager dans les campagnes.

Il y a des bourgs populeux où l’isolement se fait autour de l’église. Le pasteur ne songe plus à lutter. Le culte n’est suivi que par les femmes. Les hommes se rassemblent devant le porche pour causer de leurs affaires, mais n’entrent pas. Quels sont les vrais motifs de cette défaveur qui semble atteindre la partie la plus modeste du clergé ? Il est facile d’accuser la propagande révolutionnaire. Mais les partis n’inventent rien : ils ne font que profiter des circonstances ; si le terrain n’était pas bien préparé, toute entreprise dirigée contre l’église serait frappée d’impuissance. La vérité, c’est que les mêmes causes font sa force d’un côté du fleuve et sa faiblesse sur l’autre bord. Là, elle est aimée parce qu’elle représente le passé ; ici, on affecte de la redouter pour la même raison. Ce n’est point impunément qu’on a la gloire de représenter les plus antiques traditions et de résumer, dans le symbole du clocher, tous les pouvoirs disparus. Ce même clocher devient, pour une population ambitieuse et remuante, le signe visible d’une tutelle incommode. La confusion qui s’est établie peu à peu entre des formes sociales plus ou moins condamnées et les intérêts ecclésiastiques favorise cette disposition. On s’est posé en adversaires de la révolution ; la révolution vous traite en ennemis. Chacun prétend que l’autre a commencé. C’est ainsi qu’Hérodote raconte les origines de la guerre de Troie : un Grec d’Europe enlevait une femme aux Grecs d’Asie, qui, par représailles, répondaient par un autre enlèvement, et ainsi de suite, jusqu’au rapt d’Hélène. Au village, on ne s’occupe guère de trancher la question historique. On n’examine pas si la révolution a bien fait de confisquer les propriétés du clergé ; mais on ne veut point être dépossédé, ni même entendre l’éloge d’un temps qui n’est plus. Ce que nos vignerons tiennent, ils le tiennent bien ; la simple menace d’un retour en arrière les met en fureur. À ces motifs généraux ajoutez le désir d’affirmer son importance, la satisfaction de briser un frein, l’idée bien arrêtée de ne pas se laisser sermonner, le besoin plus légitime d’écarter toute ingérence dans les affaires locales : toi est l’amalgame de raisons solides et frivoles qui détermine, ici comme ailleurs, la conduite humaine. Jacques Bonhomme et son frère Gros-Jean tombent d’accord pour mettre l’église en quarantaine.

Toutefois, la quarantaine n’est ni sévère ni durable. On se tromperait si on divisait la population rurale en deux parts : ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Ces bonnes gens ne regardent pas si loin. Rarement ils négligent de demander à l’église la consécration des grands événemens de ce bas monde : naissance,