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Car toutes ces critiques ne sauraient nous empêcher d’encourager M. Paul Bourget dans sa tentative, qui est, en deux mots, de faire dans le roman la part plus large à la pensée. Ou même, la tentative n’ayant rien d’absolument contraire aux exigences du roman, nos critiques n’ont pour objet que d’y aider M. Bourget, en lui rappelant la nature de ces exigences. Si subtile, par exemple, ou profonde que soit la pensée, le romancier doit en trouver une expression claire et distincte, et, pour les personnages, ils philosopheront d’ailleurs autant que l’on voudra, mais il faut d’abord qu’ils vivent. Quant aux doctrines pessimistes dont e M. Paul Bourget et M. Guy de Maupassant, eux et leurs jeunes imitateurs, puisqu’en effet ils font école et que nous pourrions ici joindre bien des noms au leur, nous ne leur demandons à tous que d’être absolument sincères, mais non pas de guérir. S’il était ici question de métaphysique, il serait aisé de prouver que, si le pessimisme n’est pas une exacte interprétation ou conception de la vie, l’optimisme n’en est pas une plus fidèle ni plus conforme à la vérité. Quand il y aurait du paradoxe, ou plutôt de l’exagération, à soutenir que la vie est foncièrement mauvaise, il n’y en aurait pas moins à la prétendre foncièrement bonne. Que si d’ailleurs on voulait prendre et juger l’une et l’autre doctrine par ses conséquences, le pessimisme en aura sans doute de fâcheuses, mais l’optimisme en a de détestables. Je n’en veux signaler qu’une seule, qui peut-être enveloppe toutes les autres : professer que la vie est bonne, et conséquemment qu’elle a son objet et son but en elle-même, cela mène à professer que tous les moyens d’en jouir sont également bons, ou, si l’on aime mieux, que tous nos appétits, étant naturels, ont droit à leur satisfaction : ce qui est la formule à la fois, dans l’ordre matériel, du plus grossier matérialisme, et dans l’ordre social, du plus dangereux socialisme. Lucullus n’était point pessimiste, et Catilina ne l’était point davantage ; mais le docteur Véron était un optimiste, et Jules Vallès en était un autre.

Au point de vue de l’esthétique, le seul aujourd’hui qui doive nous intéresser, si l’on a pu dire sous une forme expressive qu’il n’y avait pas de grand talent sans un grain de folie, on pourrait dire qu’il n’y en a guère eu sans un peu d’amertume et de pessimisme, par conséquent. C’est dire peut-être que, lorsqu’il est sincère, le pessimisme est une souffrance ou une maladie, mais c’est dire en même temps de quoi lui en veulent ceux qui l’attaquent le plus : d’être un mal rare, ce que les pauvres gens appellent une maladie de riche, un mal d’aristocrate. De même, ceux qui jadis ont raillé « le mal du siècle, » et non pas sans esprit, j’en conviens, ni même sans quelque apparence de raison, que reprochaient-ils, au fond, aux Byron et aux Chateaubriand ou, plus près de nous, — je les ai déjà nommés, — aux Musset et aux George Sand ? Précisément et uniquement d’être George Sand ou