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laissé au ministre le droit de congédier les hommes par anticipation. Dans l’assemblée nationale, on avait profité de la latitude pour renvoyer après six mois les hommes qui devaient un an de présence et garder cinq ans ceux qui devaient cinq ans. Dès 1877, on garda un an les hommes de la seconde portion afin de renvoyer après quatre ans ceux de la première. La classe qui, cette année, bénéficia de la mesure était celle de 1873, la première appelée d’après la loi de 1872 : les républicains avaient triomphé assez tôt pour que le service de cinq ans ne fût pas une fois appliqué. Celui de quatre ans ne le fut pas davantage. Sous des ministres de plus en plus instables et de plus en plus dociles aux volontés parlementaires, la présence de la première portion fut bientôt réduite à trois ans et demi, puis à quarante mois ; enfin elle cessa de dépasser trois ans. Le volontariat d’un an ne reçut pas de moindres atteintes. Mal appliqué dès le principe, il avait donné à ses adversaires le droit de dire qu’il était un privilège accordé à la richesse et une exonération hypocrite. Le nombre des volontaires à admettre chaque année n’étant pas fixé par la loi, tomba de 20,000 hommes à moins de 5,000.

Mais ces réformes ne portaient que des remèdes partiels et détournés à un mal général. Il ne pouvait être détruit qu’avec l’œuvre de 1872 : il fallait au parti nouveau une loi nouvelle. Préparée par les élections successives qui portaient au Luxembourg les idées du Palais-Bourbon, elle a été formulée l’an dernier[1]. Votée alors en première lecture, soumise en ce moment à la seconde lecture, la loi est faite, puisqu’il lui manque seulement la confirmation de la chambre et le consentement du sénat, assemblées incapables l’une déjuger l’autre, l’autre de se déjuger.

Cette loi se résume en deux dispositions. Le service est réduit à trois ans pour tous les Français. Le service de trois ans est imposé à tous les Français. Les dispenses deviennent le privilège de la pauvreté. L’homme qui, par son travail, est l’unique ressource des siens est laissé aux siens et à son travail. Sauf la misère, rien n’est épargné. Les infirmités même sont suspectes : l’homme incapable de faire campagne doit être utilisé dans les services auxiliaires de tout ce qui lui reste de vie, il faut qu’il paie sa dette. L’intérêt des familles est écarté : la femme veuve, le père septuagénaire ou aveugle n’ont plus droit de garder leur fils unique, les orphelins leur frère aîné. L’intérêt même de l’état ne compte plus : les carrières libérales, la grande industrie, chargées de défendre cette puissance nationale qui ne se perd pas seulement sur les champs de bataille, les écoles célèbres qui répandent sur la France une gloire encore

  1. Le débat ont lieu à la chambre en mai et Juin 1881.