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certainement ce qui peut bien s’appeler travailler à maintenir et à protéger la paix publique, « fermer cette question religieuse si imprudemment laissée ouverte ! »

On éprouve le besoin d’enflammer les passions, d’ajouter au trouble des consciences, de déchaîner une guerre sans fin, et comme, dans cette étrange campagne ouverte depuis longtemps par l’esprit de secte, il faut que le comique se mêle à la violence, le conseil municipal de Paris se met naturellement de la partie et entre en scène. Il s’est trouvé un conseiller municipal fort inconnu qui, dans un prétentieux et facétieux rapport, s’est appliqué à démontrer comme quoi « la laïcisation de nos rues, qui est une œuvre déjà largement commencée, doit être achevée. » C’est, à ce qu’il paraît, l’œuvre municipale la plus urgente, avec les emprunts destinés à poursuivre la transformation de Paris, Il faut donc « laïciser » nos rues, nos boulevards, nos avenues, et l’intrépide réformateur laïcise ! il va à travers la ville, effaçant au coin des rues « les noms des saints et saintes qui sont encore trop nombreux. » Il y a quelques-uns de ces noms, Saint-Severin, Saint-Eustache, Saint-Sulpice, etc., qui sont réservés ou épargnés parce qu’ils sont naturellement destinés à disparaître « lorsque les édifices religieux recevront une destination nouvelle par suite de la séparation des églises et de l’état et de la suppression du concordat, qui remettront la commune de Paris en possession de ses biens. » Il y a aussi des noms qui résistent à la laïcisation; il y en a avec lesquels on se croit tenu à de la diplomatie. On fait ce qu’on peut. On ne veut pas déposséder tout à fait saint Vincent de Paul de sa rue; on lui ôte son titre de saint, on lui laisse sa rue, sous prétexte qu’il appartenait à l’humanité avant d’appartenir à un ordre religieux. Avec la sœur Rosalie, cette héroïne de la charité qui a donné son nom à une rue, on procède par un détour: on la dépouille de son nom de religion, on lui rend son nom de famille, Marie Rendu. Les noms de M. Deguerry, de M. Darboy, doivent disparaître parce que ce sont des « noms de combat, m — heureux euphémisme pour désigner les victimes d’un effroyable meurtre ! Mais là où le réformateur municipal est tout à fait comique sans le vouloir, c’est lorsqu’il se trouve en présence de noms de villes comme Saint-Pétersbourg ou de noms comme ceux de Saint-Simon, de Sainte-Beuve. Pourquoi donc ne les laïcise-t-on pas ? On a une variété d’explications pour tous les cas. Qu’est-ce qui sauve de l’hécatombe de la laïcisation la place Sainte-Opportune? C’est le dernier mot du grotesque: c’est parce qu’on tient compte à la sainte de « l’influence de son nom sur la politique française pendant de longues années. «Voilà la politique opportuniste placée sous l’invocation d’une sainte ! Et dire pourtant qu’une ville comme Paris, qui résume :;out ce qu’un grand pays a de lumières, de supériorités, de puissances intellectuelles, financières, industrielles, est ainsi représentée !