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tentés pour les sortir. On pourrait d’ailleurs estimer que la baisse des cours est arrivée à son terme, même au cas où la querelle entre Londres et Saint-Pétersbourg aboutirait à une rupture complète, si l’état particulier du marché de Berlin, et du nôtre également, ne faisait pas craindre pour la liquidation qui s’approche des perturbations plus graves encore que celles qui se sont produites jusqu’ici.

A Berlin et à Paris, la spéculation avait d’énormes engagemens à la hausse sur des fonds d’état donnant lieu aux opérations d’arbitrage, et notamment sur l’Italien, le Hongrois et les valeurs turques. La place de Berlin supportait en outre des positions considérables en valeurs russes. C’est la liquidation de ces engagemens et positions qui inspire à juste titre les plus vives inquiétudes après la baisse considérable survenue depuis le dernier règlement de comptes.

De là vient que ces titres, pendant les derniers jours du mois, ont été frappés d’une dépréciation beaucoup plus forte que les consolidés ou les rentes françaises, bien que l’Italien et le Hongrois, par exemple, ne soient pas affectés plus directement que l’Extérieure d’Espagne ou les fonds helléniques, par une guerre éclatant entre l’Angleterre et la Russie et devant avoir pour théâtre principal les steppes de l’Asie centrale.

Depuis le 15 avril, l’Italien a fléchi de plus de 2 francs ; il en est de même du Hongrois; le premier a été ramené de 93 à 91, le second de 77 1/2 à 75 1/2. Le Turc a perdu 1 franc, à 15.50, les obligations ottomanes privilégiées ont été précipitées à 345 et la Banque ottomane à 500 francs. Ces réactions violentes sont dues à des exécutions de spéculateurs dont le crédit avait résisté aux premiers assauts de la tempête, et qui depuis ont reconnu l’inutilité d’une prolongation de lutte. De ces exécutions, quelques-unes sont forcées, la plupart sont volontaires. Il s’agit, en général, de grosses positions, résolument abandonnées avant qu’il soit trop tard. Malheureusement de telles réalisations ne se peuvent effectuer sans communiquer au marché un ébranlement profond. Des masses de titres, s’abattant çà et là sur la place, y creusent subitement de larges trous que l’affluence des capitaux de placement n’est pas suffisante pour combler immédiatement.

Ainsi le Crédit foncier, malgré le grand succès de son émission d’obligations foncières, succès d’autant plus éclatant que rarement une souscription publique a été ouverte au milieu de circonstances plus défavorables, a baissé de 40 francs à 1.278. Il est bien clair que le conflit anglo-russe n’a modifié en quoi que ce soit la situation du Crédit foncier, et l’on a pu voir cette semaine, par le rapport présenté à l’assemblée générale des actionnaires, combien cette situation est prospère. Mais un spéculateur, bien connu pour ses opérations à longue portée sur les actions du Crédit foncier, a jugé prudent de carguer ses voiles et de rentrer au port.