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accomplies, C’est ainsi qu’elle est allée à Khiva, à Merv, dans le Turkestan, s’avançant par degrés vers l’Afghanistan, organisant et reliant ses postes à mesure qu’elle gagnait du terrain, établissant sans bruit sa domination, ralliant les tribus asiatiques par une faculté rare de captation et d’assimilation. Plus d’une fois l’Angleterre s’est émue des expéditions russes, des progrès incessans de cette patiente conquête ; elle s’est surtout alarmée lorsque la Russie a paru menacer la ville d’Hérat, que les Anglais considèrent comme une des clés de leur empire des Indes. A plusieurs reprises, il y a eu des négociations pour arriver à une certaine délimitation, à l’établissement d’une zone neutre séparant les possessions britanniques de la Russie, et il y a eu même entre Londres et Saint-Pétersbourg un accord diplomatique, qui n’avait, il est vrai, ni précision, ni sanction, qui maintenait du moins la paix. Par suite de quels incidens la question, qui paraissait sommeiller entre les mains des diplomates, s’est-elle réveillée subitement et a-t-elle pris, il y a quelques jours, un caractère tout à fait aigu ? Une nouvelle commission avait été nommée l’an dernier par les deux gouvernemens pour arriver définitivement à la délimitation poursuivie depuis si longtemps, C’était un préliminaire : les contretemps n’ont pas tardé à se produire. La négociation s’est embarrassée de propositions et de contre-propositions plus ou moins spécieuses. Un petit corps de mille hommes expédié par le vice-roi des Indes à Caboul, sous les ordres du général Lumsden, a tout compliqué par une apparence de démonstration militaire. Pendant ce temps, l’émir de Caboul, qui est le protégé de l’Angleterre, qui évidemment suit les inspirations de sa suzeraine, faisait occuper Penjdeh, qui est justement un point contesté de la frontière, qui, d’après les cartes anglaises elles-mêmes, serait en territoire turcoman. La Russie, à son tour, a répondu en se portant en avant, en faisant occuper Pouli-Khatoum, qui est aussi un point contesté, qui passe pour appartenir au territoire afghan. Par ce double mouvement, l’intervention de la force prenait brusquement le pas sur les négociations de la diplomatie, mettant la Russie en présence, non de l’émir qui n’est rien ici, mais de sa puissante protectrice, l’Angleterre. Ce n’est qu’il y a assez peu de temps que ces faits ont retenti à Londres, qu’ils ont ému l’opinion anglaise, troublé le parlement, et qu’ils sont devenus un embarras des plus graves pour le ministère, placé dans l’alternative de subir la démonstration russe ou de relever le défi en prenant résolument parti pour un remuant vassal. La situation était certes critique.

Au premier moment, on est allé au plus pressé. Il n’était point évidemment admissible qu’un incident qui n’avait rien d’irréparable pût mettre, sans plus de réflexion, les armes dans les mains de deux grandes puissances. Le ministère anglais s’est hâté d’en appeler à