Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de véhémentes remontrances au cabinet de Florence, il accusa l’Italie de méconnaître les devoirs de sa neutralité en faisant ouvertement des vœux pour le succès de nos armes. » Quand Paris eut capitulé, il se fit un changement soudain dans les esprits ; on mit une sourdine aux polémiques, on s’appliqua à ne pas irriter davantage un vainqueur vindicatif, à désarmer ses ressentimens : « L’Autriche et l’Angleterre, qui est à l’abri de toute atteinte, disait-on, se croient tenues de ménager beaucoup M. de Bismarck. Aujourd’hui que la France est meurtrie, terrassée, peut-il nous convenir à nous qui sommes faibles et sans alliés de nous exposer aux redoutables rancunes de cet homme qui n’a jamais rien pardonné ? » La diplomatie prussienne fut touchée de ce retour et de la résipiscence des Italiens’, elle fit bon visage à leurs repentirs. Elle sait parler toutes les langues ; après les avoir menacés, elle devint courtoise et persuasive ; après leur avoir prodigué les vertes réprimandes, elle recourut aux insinuations, aux promesses. Elle leur représenta tous les avantages qu’ils pouvaient trouver à entretenir de bons rapports avec elle, tout ce qu’ils avaient à espérer de ses bonnes grâces : — « Quand nous voudrions nous disputer avec l’Italie, nous disait M. Abeken en 1869, nous ne saurions pas sur quoi. » — M. Brassier de Saint-Simon en disait autant, et on l’en croyait facilement. Une diplomatie qui s’appuie sur une armée victorieuse n’a pas besoin de beaucoup d’éloquence pour plier les esprits et façonner les cœurs comme le potier pétrit son argile.

Nous connûmes alors cette morne solitude qui se fait autour des grands malheurs ; on s’en détourne avec effroi, on les fuit comme une maladie contagieuse. Il est vrai que Job eut des amis qui lui demeurèrent fidèles. Quand il eut déchiré son manteau, rasé sa tête et qu’il se fut assis dans la cendre avec sa confusion et ses ulcères, ces beaux parleurs entreprirent de le convaincre qu’il s’était attiré ses disgrâces par ses iniquités, qu’il avait souffert que la méchanceté habitât dans ses tentes. Comme Job, nous avons enduré l’insipide bavardage des fausses amitiés, et quand la patience nous a échappé, nous avons dit à ceux qui affectaient de nous plaindre : « Vous êtes tous des consolateurs fâcheux ; n’y aura-t-il point de fin à vos discours ? Les petits enfans me méprisent et parlent contre moi. »

La destinée ne se lassait pas de nous frapper ; à la guerre avaient succédé les fureurs civiles, le désordre, l’anarchie, la confusion des langues et des esprits. Épouvantés des saturnales démagogiques qui déshonoraient notre capitale, ceux de nos amis italiens qui avaient le plus admiré l’héroïque résistance de Paris se prenaient à douter de notre avenir, et l’un d’eux écrivait : « Le plus grand service que les amis de la France puissent lui rendre en ce moment est de parler d’elle le moins possible. » D’autres, plus clairvoyans, estimaient que,