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de bibliothèques pourvus des instrumens indispensables, et dans ces salles, en tout temps, trente ou quarante jeunes gens travaillant avec ardeur ! A leur maintien décent et à leur gravité précoce, on ne les prendrait guère pour des Français : rien de la désinvolture de nos étudians en droit ni du débraillé légendaire de nos étudians en médecine, rien non plus du type normalien gouailleur et volontiers badin ; on se croirait dans un séminaire allemand. Pardon ! ce séminaire, c’est la jeune Sorbonne qui pousse, c’est l’élite des boursiers, le choix du choix, la sélection de la sélection qui s’exercent et qui s’entraînent. Ce baraquement, c’est le salon des refusés de l’École normale, qui se venge d’elle en la battant, et c’est de lui que sont sortis, pour la plupart, les trente-six agrégés de l’an dernier.


II

Je n’ai guère eu jusqu’ici qu’à raconter des faits et qu’à constater des résultats où j’ai trouvé beaucoup à louer. J’aurais maintenant sur certains points quelques doutes à émettre, quelques réserves et quelques craintes à formuler.

Et tout d’abord une question se présente, celle de savoir si la réforme entreprise en 1868 se maintiendra dans les bornes actuelles ou si elle les franchira ; si l’enseignement de nos facultés restera ce qu’il avait été jusqu’à ce jour, c’est-à-dire accessible au grand public, ou s’il achèvera de perdre son caractère général pour devenir purement didactique.

Il y a vingt ans, cette dernière hypothèse s’entrevoyait à peine, et les plus hardis n’osaient même pas la soulever. On s’accordait généralement à reconnaître la nécessité de la coexistence dans notre haut enseignement de deux sortes de cours : les uns destinés à répandre « la connaissance des méthodes scientifiques et par conséquent s’adressant au petit nombre ; les autres roulant sur des généralités susceptibles d’intéresser un nombreux auditoire[1]. » Personne n’eût osé conseiller à nos professeurs de renoncer « au genre brillant créé par des hommes éminens dans la première moitié de ce siècle et l’une des gloires de l’esprit français[2]. » Transmettre le dépôt des connaissances acquises, charmer et instruire les gens du monde, voilà disait M. Renan lui-même, le but des facultés ; former des savans, voilà le but du Collège de France.

Donc, à cette époque, en 1862, il n’est pas inutile de le rappeler ici, l’ambition des réformateurs n’allait guère au-delà de la création

  1. E. Renan, la Chaire d’hébreu au Collège de France.
  2. Ibid.