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contre cette liberté révolutionnaire, reconnue à chacun depuis la date néfaste de 1791, de choisir à son gré sa profession, d’y entrer ou d’en sortir comme bon lui semble. On a battu en retraite et on a renoncé à cette campagne, mais avec quels regrets, avec quelles restrictions ! Il suffit, pour s’en assurer, de parcourir certain volume peu connu, que le conseil des études de l’Œuvre des cercles a publié sous le titre de : Questions sociales et ouvrières. Mais, en revanche, il y a une liberté aux dépens de laquelle il semble qu’on veuille se dédommager : c’est la liberté de la concurrence, c’est-à-dire le droit pour chacun de produire la quantité de denrées qu’il lui plaît, à l’aide des procédés qu’il lui convient d’employer. Pour entreprendre cette nouvelle campagne, le moment, il faut le reconnaître, n’est pas mal choisi. Aujourd’hui le monde civilisé subit, en effet, les conséquences d’une production exagérée qui, dépassant les besoins de la consommation, encombre le marché universel de marchandises en quantité supérieure à la demande, et, par une conséquence fatale, avilit les prix non seulement des marchandises elles-mêmes, mais du travail. Le phénomène n’est pas nouveau ; et l’Angleterre, qui l’a déjà connu plusieurs fois, a trouvé depuis longtemps un mot pour le désigner : overproduction, tandis que nous avons récemment inventé celui de surproduction. Mais jamais ce phénomène n’a été aussi intense, car il apparaît aujourd’hui dans tous les pays, aussi bien dans ceux qui sont abrités derrière le régime protecteur, comme l’Amérique, que dans ceux qui sont livrés au libre échange. Jusqu’à présent ces crises ont toujours pris fin d’elles-mêmes à la fois par une réduction volontaire de la production et par l’extension progressive des besoins de la consommation. Mais il semble qu’entraîné par cette horreur de la liberté dont je parlais tout à l’heure, on veuille profiter de l’occasion favorable pour contester à chacun le droit de produire dans la mesure qu’il croit utile, sans consulter d’autre règle que son intérêt bien entendu. Quelle autre signification aurait, en effet, ce langage, dont l’éloquence me touche autant que personne, mais contre les séductions duquel il faut cependant savoir se défendre ?

« Nous demandons une législation protectrice de la faiblesse et des droits de chacun, empêchant, par une fixation normale des heures de travail, les abus de la force, limitant enfin la concurrence et la spéculation… Voilà ce que nous demandons, et nous souhaitons aussi que cette législation sociale ne soit pas l’œuvre d’un état isolé où les obstacles de la concurrence pourraient la frapper d’impuissance, mais que, sous l’inspiration de l’église, seule capable assurément de déterminer un pareil concert, une législation internationale règle la protection des faibles, pour amoindrir les souffrances du travail. »