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introduire dans la hiérarchie sociale, aucun privilège reconnu à détruire. Tout le nécessaire existait déjà ; il n’y manquait que des volontés capables de le faire mouvoir, des mains habiles à le mettre en œuvre. On ne distingue, dans ces deux grandes crises, ni une opposition et une guerre de classes, ni les haines inexpiables qu’engendrent des abus trop longtemps supportés, ni les grands enthousiasmes théoriques que suscite un trop long jeûne de réformes. Elles laissèrent après elles, non pas des progrès positifs, — de ceux que le juriste se plaît à enregistrer, — mais plutôt une vie nouvelle, empruntée aux élémens dès lors consistans et solides dont s’était reformée la substance des grands pouvoirs. La vraie révolution commence sans bruit au moment où la révolution violente s’achève. Le XVIIIe siècle tout entier et le premier tiers du XIXe siècle sont occupés par une profonde transformation économique et sociale qui retentit dans la région des pouvoirs publics. C’est une seule et même oscillation en deux temps. Par sa première impulsion ; elle développe pendant un siècle la plus tyrannique des oligarchies, humilie la royauté, énerve à la fin les libertés publiques. Puis, par une sorte de répercussion et de retour, qui devient surtout sensible à partir de 1832, elle entame la domination aristocratique avec les forces immenses, lentement ralliées, de la société industrielle, et développe une démocratie qui parait destinée à imprimer de plus en plus son caractère à toutes les institutions.

Il n’entre pas dans notre dessein d’aborder ce sujet, qui veut être traité à part. Ce que nous avons voulu rappeler, et ce qu’il valait peut-être la peine de prouver plus abondamment qu’on ne l’avait fait, c’est que l’Angleterre avait, avant les autres peuples, achevé sa croissance de corps politique, qu’elle s’était, la première, dégagée substantiellement de la féodalité, dont elle a gardé en partie les formes, et que, dès l’époque des Tudors, elle se présente avec les caractères d’une société adulte et moderne, en possession des notions de l’état et de la loi, de tous les organes du gouvernement représentatif et parlementaire et du principe de k suprématie du pouvoir civil.


E. BOUTMY.