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général de « zouayomanie. » Ce n’était plus un bataillon qu’il s’agissait de compléter ; c’étaient des bataillons qui allaient sortir de terre. S’ils en étaient sortis, d’un coup de baguette, tout babilles, tout équipés, tout armés, comme en rêvaient les imaginations ardentes, rien n’eût été ni mieux ni plus simple. Malheureusement la réalité donnait un démenti à ce rêve. On avait bien dessiné pour cette troupe indigène un costume pittoresque, d’une fantaisie tout orientale, celui des soldats tel à peu près que nous le connaissons, celui des officiers tel que l’a décrit et porté quelque temps La Moricière : turban tricolore avec aigrette, veste bleue à la turque, culotte rouge à la mamelouk, ceinture garnie de pistolets, sabre courbe ; ces beaux dessins restaient en portefeuille. En attendant, les zouaves n’étaient ni vêtus, ni chaussés, ni payés même, au moins de tout ce qu’on leur avait promis. Ils n’en faisaient pas moins le service aux avant-postes, et ils le faisaient bien jusqu’au jour où il leur prenait fantaisie d’aller chez eux voir leurs femmes ; alors ils partaient le soir ; quelques-uns revenaient le lendemain ou deux jours après, d’autres beaucoup plus tard ; il y en avait qui, rebutés par les exigences de la discipline, ne revenaient pas du tout. Ceux qui n’avaient fait que s’absenter et qui étaient punis au retour, ne comprenaient pas comment ils pouvaient l’être pour une chose si simple ; à la première occasion, ils désertaient tout de bon, le plus souvent avec leurs armes. On usa de la dernière rigueur : au milieu du bataillon formé en carré, un conseil de guerre spécial au corps jugeait les coupables, et l’arrêt sans appel était exécuté sur l’heure. La désertion ne cessa pas. On continuait à recruter, néanmoins, mais péniblement. C’était à travers le premier bataillon comme un courant qui renouvelait et entretenait l’effectif, tantôt au-dessus, tantôt au-dessous du niveau moyen. Il y en avait un second dont le cadre, exceptionnellement remarquable, comptait le capitaine du génie Duvivier pour commandant et parmi les capitaines le lieutenant du génie de La Moricière ; le malheur était que ce cadre demeurait à peu près vide ; et cependant ces officiers d’élite ne négligeaient aucuns soins, aucun effort pour se mettre en état d’être compris de leurs hommes et de les comprendre ; ils étudiaient leur langue, leurs coutumes, leur tour d’esprit, leur caractère. Ces difficultés qui retardaient l’organisation des zouaves, on les retrouvait contrariant aussi l’essai d’une cavalerie indigène auquel s’était dévoué corps et âme le capitaine d’artillerie Marey, commandant l’escadron bien chétif des chasseurs algériens. Admirateur passionné des choses de l’Orient, ce n’est pas lui qui, avec l’irrévérence de La Moricière, aurait traité de costume de mardi-gras sa tenue fastueusement ridicule.