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pour l’ombre. De fait, quand on voyait à l’exercice ces recrues étranges, aux vêtemens sordides, aux haillons disparates, et la peine que se donnaient les instructeurs pour leur apprendre le maniement d’armes, toutes les apparences semblaient autoriser les critiques ; et cependant tout d’un coup les critiques tombèrent ; un petit événement survint qui leur donna tort.

Le lendemain même du jour où avait para l’arrêté qui était en quelque sorte l’acte de naissance des zouaves, le 2 octobre, des bruits inquiétans se répandirent dans Alger ; on annonçait l’approche du bey de Titteri avec des forces considérables ; déjà, disait-on, il campait au milieu de la Métidja ; le lendemain, on verrait ses drapeaux sur l’Harrach. Aussitôt le général en chef donna l’ordre de pousser dans la direction indiquée des reconnaissances en force. Deux colonnes furent constituées, chacune de deux régimens d’infanterie, d’un escadron de chasseurs et d’une section d’artillerie ; la première sous le général Boyer, la seconde sous le général Hurel ; c’était avec celle-ci que devaient marcher les zouaves. Le 4 octobre, une heure avant le jour, les deux généraux commencèrent leur mouvement, Boyer droit vers l’Harrach, Hurel à travers les collines par le chemin de Blida ; après avoir débouché chacune de son côté dans la plaine, les deux colonnes devaient marcher l’une vers l’autre, de manière à prendre l’ennemi entre deux feux. Arrivés sur l’Oued-Kerma, les zouaves, qui étaient en pointe en avant de la brigade Hurel, couronnèrent les collines au-delà du pont ; quand la tête de la colonne fut à bonne distance, on leur donna l’ordre de joindre une vingtaine de cavaliers arabes qu’on apercevait en avant d’eux ; ils se lancèrent à travers les broussailles avec une ardeur qui étonna le général et son état-major ; on n’avait de peine qu’à les contenir. La fusillade pétillait ; les Arabes se repliaient sur un groupe d’une centaine de chevaux soutenus eux-mêmes par un gros de trois ou quatre cents cavaliers rassemblés auprès d’une maison connue sous le nom de Ferme du bey d’Oran. Deux obus bien dirigés suffirent à mettre tout ce monde en retraite. Quand les derniers burnous eurent disparu à l’horizon, on fit halte ; puis on vint à la rencontre du général Boyer, qui n’avait pas vu apparence d’ennemis. Ceux qui s’étaient montrés devant le général Hurel étaient bien les coureurs du bey de Titteri ; de sa personne il était à Blida ; quand il sut que les Français étaient en mesure de lui tenir tête, il renonça prudemment à leur faire visite et rentra dans ses montagnes.

A dater de cette petite expédition, l’opinion, d’abord injuste et dédaigneuse, tourna tout d’un coup à l’enthousiasme pour les zouaves ; il y eut, suivant le mot d’un observateur, un accès