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construit des cuirassés plus ou moins médiocres, qui lui ont causé d’assez vives déceptions. Mais elle s’est bientôt révisée. En présence de l’indécision qui règne aujourd’hui sur les instrumens futurs de la guerre maritime, elle a compris que le plus urgent était de former un personnel excellent, et de se procurer le plus grand nombre possible de ces torpilleurs peu coûteux dont, quoi qu’il arrive, le rôle sera désormais capital. Renonçant aux constructions dispendieuses, elle s’est mise, sous la direction d’un ministre de la marine qui paraît être un homme supérieur, le général Caprivi, à employer à la formation de son armée de mer les procédés qui lui ont procuré une armée de terre incomparable. Elle fait passer le plus grand nombre d’hommes possible sur ses navires et leur donne une instruction complète. Cette année, elle a mobilisé tout son matériel disponible et a fait de grandes manœuvres sur trois points de la Baltique et de la Mer du Nord. « Dans peu d’années, a dit avec raison un journal anglais, l’Army and Navy Gazette, l’Allemagne pourra tenir tête à une coalition maritime, en quelque endroit du globe que ce soit. Elle continue à augmenter le nombre et à perfectionner la qualité de ses torpilleurs. Il est évident qu’elle a de hautes visées en ce qui concerne sa puissance maritime ; la persévérance tenace avec laquelle elle travaille à les réaliser est un gage certain de son succès. Un soin extrême est apporté à l’instruction et à l’équipement des navires. Les remarquables manœuvres de sa flotte sont pour l’Angleterre une leçon et un avertissement. » Ce n’est pas seulement à l’Angleterre que cette leçon s’adresse ; nous ne saurions trop en faire notre profit. L’Allemagne a étudié plus qu’aucune autre puissance peut-être le rôle des torpilles et des torpilleurs pour l’offensive et la défensive. Ses manœuvres ont démontré que l’emploi de ces engins et de ces navires de combat rendait presque impossible un bombardement effectué par une escadre. Un de nos amiraux, l’amiral Aube, avait déjà soutenu qu’il en était ainsi ; mais le fait a été mis hors de doute dans un simulacre d’attaque de Dantzig opéré par l’escadre allemande. La fumée de la poudre a rapidement enveloppé l’escadre. Le volume et la densité de cette fumée étaient naturellement en rapport avec la quantité de poudre employée par la grosse artillerie des cuirassés et des batteries de côtes, ce qui prouve que plus l’artillerie est formidable, plus les conditions d’attaque sont favorables à la torpille. Par moment, les navires ont été si complètement voilés de fumée que les canonniers des batteries n’avaient, pour leur permettre de viser, que les éclairs des décharges des canons ennemis. On comprend combien il est aisé aux torpilleurs de profiter de cette obscurité pour s’approcher des cuirassés et pour les couler. Et ce n’est là qu’un épisode bien instructif, il est