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Providence leur a offert une occasion de rétablir cette monarchie dont ils attendaient le salut, ils en ont, par leurs exigences, rendu la restauration impossible. C’est une chose à signaler en effet que les radicaux de l’ultramontanisme ont, plus que tout autre parti, contribué à l’échec de la forme de gouvernement qu’ils prêchaient au peuple ; que personne, dans aucun camp, n’a autant fait pour acclimater en France un régime qu’ils ne cessaient de proclamer incompatible, avec les intérêts catholiques. L’histoire dira qu’ils ont été les plus précieux auxiliaires des fondateurs de la troisième république, et ce qui achève de faire juger leur politique, pendant qu’ils aidaient inconsciemment les Thiers et les Gambetta à installer la république, ils n’ont rien omis pour soulever les susceptibilités des républicains et s’attirer les vengeances du régime qu’ils rendaient inévitable.

Il est difficile de calculer le mal qu’une telle politique a fait au catholicisme ; l’église en portera longtemps le poids. Heureusement pour elle que les imprudences et les excès des intransigeans de l’ultramontanisme sont en partie réparés et équilibrés par les violences et les folies des fanatiques de l’irréligion. Ce sont là des compensations fréquentes dans l’histoire. Il est habituel de voir les partis extrêmes travailler réciproquement l’un pour l’autre. C’est ainsi que l’intolérance de L’athéisme doctrinaire commence à rendre aux catholiques, avec les sympathies des libéraux, le sens et le goût de la liberté. On peut compter sur le zèle persécuteur des apôtres du matérialisme pour refaire, à cet égard, l’éducation des croyans et les contraindre à se couvrir de ce bouclier de la liberté, le seul qui les puisse défendre. Les souffrances, les humiliations, les défaites sont la meilleure leçon des partis et des religions aussi bien que des peuples. Si dure que semble l’oreille de leurs conseillers favoris aux enseignemens de l’histoire et des faits, la majorité des catholiques n’y demeurera pas toujours sourde. Lorsqu’ils auront vu s’évanouir leurs derniers rêves de domination, quand ils auront enfin compris l’inanité des promesses et des enfantines prédictions dont on les abuse ; ils renonceront à lutter contre la société moderne comme l’ange de la Genèse se lassa de lutter avec Jacob. Ils feront en France ce qu’ils ont dès longtemps lait ailleurs : ils s’accommoderont, tout comme en Amérique, de la démocratie, de la révolution et du droit commun. Quelque éloigné qu’en semble le jour, si incrédules qu’ils restent à de pareilles prophéties, ils reviendront tôt ou tard à la liberté, et ils finiront par s’y attacher, ils en prendront l’amour avec l’habitude. Bien plus, si paradoxal que cela semble, ces hommes, qui ne cessent de la dénigrer, contribueront peut-être à son triomphe par leurs résistances mêmes.