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situation difficile, le ministère peut avoir des chances de vivre en restant fidèle à la politique qu’il représente, en l’appliquant avec une modération profitable pour lui-même, profitable aussi pour le pays.

Si la Hollande n’a point eu les agitations qui ont éprouvé la Belgique depuis quelques mois, ses affaires ne sont pas cependant sans quelque analogie, avec les affaires belges. Les Hollandais, eux aussi, ont eu récemment des élections générales à la suite de la révision constitutionnelle qui a été accomplie pour l’institution d’une régence éventuelle, et ces élections ont été assez défavorables aux libéraux. L’ancienne chambre comptait 45 libéraux contre 41 conservateurs ou cléricaux. C’était une majorité fort modeste ; telle qu’elle était, elle suffisait encore néanmoins pour empêcher une réforme des lois scolaires ardemment poursuivie par les conservateurs. Dans la chambre nouvelle, la proportion est renversée. Les conservateurs ont une majorité, également fort modeste, mais qui pourra suffire. Ce que les libéraux peuvent espérer de mieux, c’est que la chambre finisse par être partagée en deux camps à peu près égaux. Ce n’est pas tout à fait comme en Belgique, c’est du moins le commencement d’une évolution à peu près semblable. Ici, cependant, la droite offre une particularité qui a son importance. Elle se compose de trois fractions : les protestans orthodoxes, les catholiques et les conservateurs proprement dits. Ces trois fractions de la droite hollandaise ne sont pas d’accord sur bien des questions, mais elles se rapprochent dans un acharnement persévérant pour la réforme de la loi d’enseignement, dans une antipathie commune et violente contre les libéraux. C’est leur lien, c’est ce qui établit entre elles une intime solidarité ; c’est aussi ce qui peut faire, à un moment donné, de ces trois fractions une majorité peu homogène, mais très décidée sur certains points. Cette majorité nouvelle s’attend aujourd’hui à prendre le pouvoir, elle a fait acte d’autorité dès l’ouverture des chambres en portant à la présidence le baron Mackay à la place de l’ancien président libéral, M. Cremers. Que va faire, dans cette situation, le chef du cabinet, M. Heemskerk, qui est sans doute un conservateur, mais qui suit volontiers une politique d’équilibre entre les partis ? Il aura évidemment bien des difficultés. La Hollande au milieu de ses préoccupations politiques, a, comme d’autres pays, ses accidens financiers qui sont des événemens. Ces jours derniers, deux grandes entreprises établies pour favoriser la culture du sucre aux Indes orientales se sont trouvées en détresse, près de manquer. Elles n’ont été sauvées que par la courageuse intelligence de cinq grandes maisons d’Amsterdam, qui se sont mises aussitôt à l’œuvre pour rétablir la situation. Elles ont réussi, et c’est ainsi que l’initiative individuelle a détourné une crise qui aurait pu avoir son importance dans la politique de la Hollande.


CH. DE MAZADE.