Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/715

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chinois lui adresse une lettre toute pacifique, qui, si elle eût été connue, eût détourné sans doute bien des difficultés et le douloureux incident de Bac-Lé. Malheureusement, M. le colonel Dugenne, déjà en vue des Chinois, n’a pas, lui non plus, d’interprète, et, livré à lui-même, il est obligé de se demander ce qui lui reste à faire. Pouvait-il reculer ou demander des ordres, attendre la présence de M. le général Millot lorsqu’il se trouvait devant l’ennemi ? Il y a là évidemment des méprises, des oublis de toute sorte qui auraient pu être évités, et, s’il y avait eu plus de prévoyance ; la cruelle échauffourée de Bac-Lé n’aurait pas encore une fois tout compromis.

C’est ainsi que tout marche, et si, dans ces négociations ou ces opérations qui se déroulent loin de la France, au fond de l’Orient, il y a eu si souvent des contretemps, des oublis ou des interruptions, c’est qu’ici même la direction a manqué ; il n’y a pas eu l’art de conduire une grande affaire par des instructions précises et par des secours envoyée à propos. Aujourd’hui du moins, après tant de mécomptes, M. le président du conseil est-il au bout de ses tergiversations et de ses contradictions ? On ne le dirait vraiment pas à l’entendre. M. le président du conseil parle comme s’il n’avait jamais eu d’autre projet que de rester dans le delta du Fleuve-Rouge, comme si les Chinois étaient définitivement repoussés et dispersés de toutes parts ; mais alors pourquoi expédiait-on, il y a quelques mois, M. le colonel Dugenne pour occuper Lang-Son, qui est à l’extrême frontière, et comment se fait-il que les incursions chinoises pénètrent encore à tout instant jusque dans le Delta ? M. le président du conseil nous assure que ni M. le général Brière de l’Isle, ni M. l’amiral Courbet n’ont demandé de renforts, qu’ils n’en ont pas besoin, que ce qu’ils ont leur suffit pour remplir leur mission ; mais alors pourquoi s’est-on si souvent arrêté ? Pourquoi nos chefs militaires sont-ils obligés de limiter leurs opérations et pourquoi M. l’amiral Courbet est-il encore devant Tamsui ? A quel propos expédier des forces nouvelles et demander plus de 40 millions pour le commencement de l’année prochaine ? Que signifient ces contradictions ? Ah ! c’est qu’il faut tour à tour se mettre en garde contre les dangers parlementaires et suffire aux nécessités qu’on s’est créées, devant lesquelles on ne peut reculer. Il faudrait bien cependant une bonne fois sortir de ces obscurités que la dernière discussion n’a point éclaircies, et si le vote qui a accordé les crédits qu’on demandait, qui a écarté en même temps toute menace de crise ministérielle, si ce vote peut déterminer le gouvernement à une action plus nette et plus résolue pour en finir avec le Tonkin et avec la Chine, il aura encore son utilité ; mais, on l’avouera bien, ce n’est pas sans peine qu’on sera arrivé à un résultat, et c’est, dans tous les cas, se servir étrangement du régime parlementaire dans les affaires extérieures.