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dès que la chaleur approche et que la malaria commence à devenir redoutable. Il en est à peu près de même d’un bout de l’Italie à l’autre, partout où sévit la fièvre des marais. François Lenormant, en parcourant la Grande-Grèce, y a retrouvé cette habitude. On n’a pas oublié de quels traits il a dépeint les misères de ces pauvres paysans calabrais qui viennent tous les ans travailler cette terre malsaine, et je suis témoin que les tableaux qu’il en a tracés ont produit, dans le pays même, la plus vive émotion : tant il est vrai qu’on devient indifférent aux spectacles qu’on a tous les jours sous les yeux et qu’il est bon qu’un étranger nous apprenne de temps en temps ce qui se passe chez nous ! Récemment M. de La Blanchère, qui a séjourné à Terracine et exploré courageusement les marais Pontins, a eu l’occasion d’observer les mêmes usages et de les décrire. Là aussi, les maquis sont déserts pendant la moitié de l’année ; au mois d’octobre, les émigrans y arrivent. En général, ce sont les mêmes personnes qui se fixent dans les mêmes lieux. Ils descendent ensemble de l’Apennin et des Abruzzes et viennent reprendre leurs anciens travaux. « Chacun, dit M. de La Blanchère, va trouver sa lestra, c’est-à-dire un essart fait par lui ou par un devancier, — souvent par un ancêtre, car les familles se sont perpétuées pendant des siècles sur le même soi. Une staccionata, lice grossière garnie de broussailles, enferme les bêtes ; des cabanes en forme de niche, les gens. Pour son compte, ou pour celui d’un autre, l’occupant exerce un ou plusieurs des mille métiers de la macchia. Berger, vacher, porcher le plus souvent, parfois bûcheron, toujours braconnier et rôdeur, usant de la macchia sans scrupule, comme un sauvage de la forêt vierge, il vit, et de son industrie fait un revenu au maître du sol et au sien, qui lui a confié ses bêtes, quand les bêtes ne sont pas à lui. Ainsi se passent six ou sept mois. Juin arrive : les marais sèchent, les mares de la forêt ont tari, les enfans tremblent de la fièvre, les nouvelles du pays sont bonnes. En quinze jours, les chemins sont couverts de gens qui regagnent la montagne. Famille par famille, lestra par lestra, la macchia se vide. On ne rencontre que des habitans escortant leurs chevaux, leurs ânes et leurs femmes, chargés de ce qui doit s’emporter, et bien rares sont ceux que juillet surprend encore dans ces parages. La forêt est abandonnée à vingt espèces de taons et d’insectes qui y rendent la vie impossible. »

C’est à peu près ce qui se passe sur tout le littoral du Latium. J’avoue pourtant qu’à Ostie le tableau m’a paru plus triste que ne le représente M. de La Blanchère. Là, les émigrans sont tous des laboureurs qui viennent ensemencer les terres et faire la moisson. Le soir, ils s’entassent dans des cabanes faites de vieilles