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Si des recherches persévérantes étaient poursuivies en Asie, on arriverait certainement à connaître des faits analogues. M. Morse raconte les fouilles d’un de ces amoncellemens de débris de toute sorte, lentes accumulations de l’homme, auxquels on a donné le nom de kjökkenmöddings. Ce kjökkenmödding, situé auprès de Yeddo, était formé principalement de coquilles appartenant aux mêmes espèces que celles qui vivent encore aujourd’hui dans la baie. Au milieu des coquilles gisaient de nombreux ossemens, parmi lesquels les ossemens humains et ceux du cerf dominaient; tous les os à moelle, ceux de l’homme comme ceux des animaux, étaient brisés dans leur longueur. Les prédécesseurs de la race qui habite aujourd’hui le Japon, les prédécesseurs des Aïnos, plus anciens encore, étaient donc des anthropophages, comme leurs contemporains en Europe. Des sacrifices humains précédaient ces repas; de nombreuses légendes en font foi, et ce ne fut qu’après de longs siècles que les misérables victimes furent remplacées par des images en terre cuite ou en bois. Au sud de Malabar, dans le Travancore, les fouilles mettent au jour des grands vases (manchàrà), recouverts de larges dalles en granit. C’était dans ces vases que l’on déposait les corps des jeunes filles immolées en l’honneur des dieux. La déesse Kali exigeait plus encore : chaque année, l’on amenait devant elle une jeune femme grosse de son premier enfant; sa tête roulait aux pieds de l’idole, et, de même qu’au Mexique ou au Yucatan, on aspergeait l’autel de ce sang fumant encore. Comme protection contre leurs ennemis, tous les rajahs enterraient des vierges sur les frontières de leurs états, et ces odieux sacrifices durèrent jusqu’à l’occupation anglaise. Le capitaine Burton me racontait récemment les traces de cannibalisme qu’il avait constatées à Beith-Sahur, auprès de Jérusalem. Ces traces doivent remonter à une haute antiquité, car, chez le peuple juif, les sacrifices humains étaient strictement prohibés, et celui de Jephté, le seul dont la Bible fasse mention, est très controversé par les commentateurs[1],

Nous avons dit à quel usage les Scythes destinaient les crânes de leurs ancêtres. Au commencement de notre siècle, la même coutume existait chez les Australiens, dont les derniers représentans, par une loi inexorable, disparaissent devant une civilisation qu’ils

  1. Les paroles du texte sacré sont : Et il accomplit sur elle le vœu qu’il avait fait. On s’est demandé, on se demandera toujours comment ce vœu fut accompli. Il n’est pas impossible que la fille de Jephté ait été seulement condamnée à rester vierge, ce qui était regardé comme un sacrifice chez les Juifs. Sa demande d’aller pendant deux mois sur la montagne pleurer sa virginité avec ses compagnes aide à cette interprétation.