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Toutefois ce serait méconnaître ses desseins que de les réduire à une question dynastique ou d’engouement pour la cause italienne. Ils étaient inspirés par des considérations d’un ordre plus élevé, qui permettent de justifier, dans une certaine mesure, le concours si ardent parfois qu’ont prêté quelques-uns de nos ministres à une création qui a été l’objet de sympathies les plus vives, comme aussi des critiques les plus amères.

L’Italie conçue à Plombières devait être un contrepoids dans la péninsule à l’action de l’Autriche, que l’empereur, en souvenir des luttes passées, considérait comme l’ennemie séculaire de la France, l’âme de toutes les coalitions. Il confondait la maison de Lorraine avec la maison de Habsbourg. Cette méprise, il n’était pas seul à la commettre : on peut dire qu’elle a été une des causes primordiales de la guerre de 1870.

En signant le traité de Plombières, l’empereur croyait satisfaire aux vœux de l’opinion prédominante en France. Il le signa avec l’intention formelle de n’en pas dépasser les limites, convaincu qu’en se prêtant à la création de l’Italie septentrionale, il assurait à son pays une alliée fidèle et reconnaissante, toujours disposée à l’assister militairement et diplomatiquement. Il songeait à Napoléon Ier oubliant M. de Cavour et la révolution.

Le comte de Cavour, est-il besoin de le dire, ne signa le pacte qu’avec l’arrière-pensée, légitime au point de vue italien, de le faire avorter à la première occasion, soit par les moyens révolutionnaires, soit par l’alliance qu’il méditait déjà[1], et qui devait assurer un jour le couronnement de son œuvre. « Je comptais faire

  1. En 1860, dans sa réponse à la note du baron de Schleinitz, qui protestait en termes ambigus, bien qu’acerbes, contre les menées révolutionnaires du Piémont, M. de Cavour, loin de céder à de légitimes susceptibilités, exprimait l’opinion que, si les Italiens en étaient déjà à considérer la Prusse comme une alliée naturelle, les Prussiens ne tarderaient pas à partager à l’égard de l’Italie les mêmes sentimens. Il allait plus loin, avec l’intuition qui caractérise les grands politiques, il semblait prévoir que, l’œuvre italienne achevée, la France pourrait bien faire un retour sur elle-même, s’apercevoir qu’elle avait sacrifié à de faux dieux les conditions de sa sécurité et de sa grandeur et qu’alors, « la Prusse et l’Italie seraient nécessairement amenées à défendre en commun leurs principes et leur indépendance, quel que fût le côté d’où surgiraient les dangers et les complications. »