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avoir le sentiment, à en juger du moins par l’accent sérieux et ému de ses derniers discours.

Ce n’est pas l’Égypte seule qui est une difficulté extérieure pour l’Angleterre. À la vérité, par la manière dont il a conduit toute cette affaire égyptienne, par les mesures dont il a été l’instigateur au Caire, par les obligations qu’il s’est imposées comme par ses procédés avec l’Europe, le gouvernement de la reine s’est créé d’assez sérieux et d’assez inextricables embarras. Il cherche visiblement aujourd’hui un moyen d’en sortir. Il a envoyé au Caire un commissaire extraordinaire, lord Northbrook, dont il attend maintenant le retour pour faire des propositions nouvelles, et, avec ces propositions, il pourra peut-être offrir aux intérêts européens, aux cabinets quelque combinaison, des garanties de nature à atténuer ce qu’il y a eu un moment d’aigu et de pénible dans ces affaires. Une solution d’équité et de raison, rassurante pour tous les intérêts, n’est point sans doute au-dessus des efforts d’une diplomatie prévoyante et bien intentionnée ; mais cette question égyptienne, qui a traîné jusqu’ici et qui traîne encore, n’est plus peut-être qu’un incident aujourd’hui. La politique suivie par l’Angleterre a été tout au moins l’occasion d’un changement sensible dans les relations générales ; elle a contribué à créer cette situation assez imprévue, assez compliquée qui s’est dévoilée surtout le jour où M. de Bismarck a pensé pouvoir prendre une sorte de revanche de l’échec de la conférence de Londres en proposant de réunir à Berlin une autre conférence pour régler les affaires d’Afrique, les conditions des établissemens coloniaux du Congo et du Niger. Le chancelier allemand, l’homme aux habiles diversions de diplomatie, a cru visiblement pouvoir profiter de l’isolement un peu égoïste où l’Angleterre s’était placée vis-à-vis des autres nations, particulièrement vis-à-vis de la France ; il a cru le moment favorable pour obtenir de l’Europe la sanction de ses propres vues de politique coloniale, pour limiter par un système de droit international la prépotence à laquelle l’Angleterre a toujours prétendu dans toutes les parties du monde, dans toutes les mers, et il a fait sa proposition de conférence à Berlin. L’Angleterre ne s’est pas trompée un instant sur la portée de cet acte hardi de diplomatie, qui accentuait son isolement, qui semblait faire échec à son ascendant traditionnel de puissance maritime et coloniale. Elle a fini, à ce qu’il paraît, par se rallier à la proposition de conférence de M. de Bismarck ; elle avait commencé par se redresser sous le coup d’aiguillon qui l’atteignait. Après avoir parlé avec quelque dédain de l’isolement de la France, elle s’est vue seule à son tour dans une situation diplomatique sensiblement modifiée. Elle a éprouvé un évident malaise qui s’est traduit par une sorte de révolte d’orgueil, et c’est, après tout, ce sentiment que M. Gladstone exprimait l’autre jour, lorsqu’à la veille de la session, allant inaugurer un chemin de fer