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une sottise, dont vous m’accusâtes à Paris, qui est d’assurer comme une buse que ma fille est malade parce qu’elle a trop d’esprit. Je ne dis vraiment pas de ces fadaises-là. » On voit à quel point Mme de Sévigné a peur des petites susceptibilités de sa fille, celle-ci étant toujours prête à se raidir et à repartir. Cette injustice allait quelquefois jusqu’à faire des reproches à sa mère de la froideur de son attachement. C’est ainsi qu’a propos du surcroît de distance que le séjour des Rochers mettait entre elles, elle trouvait que sa mère « n’était pas assez touchée de cet éloignement. » Celle-ci s’étonnait avec raison d’un si singulier reproche. Peut-être venait-il d’un besoin subit de tendresse, car, en même temps, sa fille la priait « de l’aimer toujours davantage, et toujours davantage. »

On sait que la religion de Mme de Grignan n’était pas la même que celle de sa mère. Celle-ci était, au fond, très-janséniste et presque prédestinatienne, tant elle faisait la part grande à la volonté de la Providence. Mme de Grignan trouvait qu’on exagérait en ce sens et se plaignait de l’abus que l’on fait de l’intervention de Dieu dans les affaires humaines : « Vous dites que c’est pour se prendre à Dieu de tout. Lisez, lisez ce traité que je vous ai marqué, et vous verrez que c’est à lui, en effet, qu’il faut s’en prendre. » Sans doute, Mme de Grignan, avec son esprit philosophique et un peu profane, voulait qu’on réservât les causes secondes ; mais c’était là, pour sa mère, une pensée mondaine et trop peu religieuse : « On s’en tient ordinairement aux pauvres petites causes secondes, et l’on souffre avec impatience ce qu’on devrait recevoir avec soumission. » On devine que Mme de Grignan n’aimait pas à s’expliquer sur ces questions ; elle les éludait comme touchant « à des mystères inconcevables. » C’est ce qu’il est permis de conjecturer du passage suivant : « Je ne vous obligerai plus de répondre sur cette divine Providence, que j’adore et que je crois qui fait et ordonne tout : je suis assurée que vous n’oseriez traiter cette opinion de mystère inconcevable avec votre père Descartes ; ce serait que Dieu eût fait le monde sans régler tout ce qui s’y fait, qui serait une chose inconcevable. » Dans le fond, Mme de Grignan était pélagienne ; elle défendait le libre arbitre contre les excès jansénistes de Mme de Sévigné. « Mme de La Sablière, disait celle-ci, fait un bon usage de son libre arbitre ; mais n’est-ce pas Dieu qui la fait vouloir ? N’est-ce pas Dieu qui a tourné son cœur ? Si c’est là ce que vous appelez libre arbitre, ah ! je le veux bien. Nous reprendrons saint Augustin… Il appelle notre libre arbitre une délivrance et une facilité d’aimer Dieu parce que nous ne sommes pas sous l’empire du démon et que nous sommes élus de toute éternité. » À cette philosophie augustinienne Mme de Grignan opposait