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1704, il se rabattit sur M. de Noailles, dont les tendances jansénistes n’étaient un mystère pour personne. Des trois évêques qui jadis avaient poursuivi la condamnation du livre des Maximes, M. de Noailles porta durement la peine d’être l’unique survivant. Toutes ces raisons personnelles gâtent sans contredit la polémique de Fénelon contre le jansénisme, si même peut-être elles ne jettent quelque ombre de doute sur la simplicité de son zèle. Un dernier trait, en l’achevant de peindre, achève de nous mettre en défiance. C’est qu’après avoir persisté quinze ans à défendre ses propres erreurs, il ne fit enfin sa soumission que pour enlever aux jansénistes l’argument favori qu’ils lui opposaient. Car nous nous soumettons, disaient-ils, aux condamnations que le pape a portées contre Jansénius et contre Quesnel, exactement comme vous vous soumettez à celle qu’il a prononcée contre l’Explication des Maximes des saints, mais nous nous défendons d’avoir entendu les propositions condamnées dans le sens où le pape les a déclarées fausses, exactement comme vous vous défendez d’avoir entendu vos Maximes au sens où le pape les a déclarées erronées. C’est alors que, pour mettre la sincérité de sa soumission hors de doute, il fit présent à son église cathédrale d’un ostensoir d’or où l’on voyait la Foi foulant aux pieds trois volumes : un ouvrage de Luther, les Institutions de Calvin et les Maximes des saints. N’était-ce point, à cette fois, passer la mesure, et lui demandait-on d’éterniser si fastueusement son erreur ?

D’où venait donc tant d’acharnement et que craignait-il du jansénisme ? Les conséquences morales du système sans doute, mais bien plus encore, et toujours, l’influence politique du parti. « Tous ceux qui étudient en Sorbonne, écrivait-il dès 1710, excepté les séminaires de Saint-Sulpice et quelques autres en très petit nombre, entrent dans les principes de Jansénius… Les séminaires mêmes de Saint-Lazare commencent à être gâtés… Les bénédictins de Saint-Maur et Saint-Vannes, l’Oratoire, les chanoines réguliers de Sainte-Geneviève, les augustins, les carmes déchaussés, divers capucins, beaucoup de récollets et de minimes sont prévenus pour le système janséniste… La cour est pleine de gens favorables à ce parti… La plupart des femmes dévotes et spirituelles remuent tous les ressorts imaginables pour le servir… On doit tout craindre du chancelier et de quelques ministres, du procureur général, de quantité de magistrats en crédit et d’un nombre incroyable d’honnêtes gens prévenus. » J’ai souligné, dans cette citation, les dénonciations formelles ; elles font le pendant de celles que, dans sa Correspondance avec les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, Fénelon se permettait contre Vendôme, ou Villars, ou tant d’autres. C’était au fameux père Le Tellier, le tout-puissant confesseur d’un roi septuagénaire, que celles-là s’adressaient ; et c’était dans l’année même où l’on venait de démolir par arrêt du conseil d’état la célèbre abbaye