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premiers la connaissance du Christ et de son évangile ? Les archevêques de Goa essayèrent en vain de convertir à leur loi épurée ces vieux croyans qui s’obstinaient à ne vouloir reconnaître pour chef que le patriarche de Babylone. Évangélisés, disaient-ils, par saint Thomas, ils prétendaient demeurer fidèles aux sentimens de Nestorius. « Saint Pierre, répondaient-ils aux docteurs qui s’efforçaient de les arracher à leur hérésie, est le chef de l’église de Rome ; saint Thomas est le chef de la nôtre. » Ils résistèrent si bien, qu’ils en ont gardé, dans l’histoire ecclésiastique de l’Inde, le nom de chrétiens de saint Thomas.

S’il en faut croire Voltaire, qui a malheureusement négligé de nous apprendre où il avait puisé ce renseignement, les brebis, égarées que l’archevêque de Goa ne réussit que bien rarement à ramener et encore moins à retenir au bercail, n’avaient absolument aucun titre à se couvrir du grand nom de l’apôtre des Indes. Un marchand de Syrie, nommé Mar Thomas, s’étant, au dire du sceptique historien, établi sur les côtes de Malabar avec sa famille et ses facteurs, y aurait laissé, — probablement vers le VIe siècle, — sa religion, qui était le nestorianisme. Tavernier, le plus exact des voyageurs du XVIIe siècle, nous apprend cependant que Mar Thomas signifie saint Thomas, comme Mar Jacob signifie saint Jacques. J’ai consulté à ce sujet des orientalistes, — M. Berger entre autres, — et voici ce qui m’a été répondu : « Mar, — Seigneur en syriaque, — est le titre honorifique que l’on joint d’habitude au nom de Dieu et de Jésus, et aussi à celui des saints. Mar Thomas, Mar Jacob : notre seigneur Thomas, notre seigneur Jacques. » Voltaire en savait probablement aussi long à ce sujet que Tavernier et les orientalistes, mais il était certes bien capable de ne pas respecter la marchandise neutre quand il la rencontrait sous pavillon ennemi[1].

C’est au VIe siècle également, vers l’année 547, que Cosmas, ce moine qui fut longtemps marchand et voyageur, avant de se résoudre à embrasser la vie monastique, entreprend de décrire la structure du monde. Cosmas s’opiniâtre à prendre à la lettre le texte plus ou moins bien compris des saintes Écritures, et fait à son insu reculer pour des siècles la science géographique au-delà des limites qu’elle avait atteintes du vivant même d’Hérodote. La Topographie chrétienne, je ne le conteste pas, est un tissu d’erreurs, mais la description de la Taprobane « que les Indiens nomment Sielediva, » nous apprend de la façon la plus irréfutable qu’au temps de Justinien, les vaisseaux d’Alexandrie ne se contentaient pas de visiter

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juillet, la Légende de Krichna.