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que celui de Tallien. On pourrait trop facilement, et pour trop de raisons, le récuser, encore qu’il n’ait soulevé dans le moment aucune réclamation de la part des intéressés ni de leurs familles. Tallien n’était pas seul en mission auprès de l’armée des côtes de Brest : un autre membre du comité de salut public y avait été envoyé dans le même temps que lui. C’était un personnage d’assez médiocre importance, nommé Blad, connu seulement pour avoir été parmi les signataires de la protestation contre le 31 mai, et, de ce chef, incarcéré jusqu’au 9 thermidor. A l’ombre d’une individualité remuante et tapageuse comme celle de son collègue, Blad n’avait eu, pendant la durée des opérations, qu’un rôle assez effacé. Après l’affaire, il se trouva tout à coup, par suite des circonstances, investi d’un grand pouvoir. Hoche était parti, lui aussi, se dérobant à l’infamie qu’il flairait, et trop heureux de laisser à un autre la responsabilité du dénoûment.

Qu’allait faire Blad? Les lois étaient formelles. Tout émigré pris les armes à la main devait être livré à une commission militaire. Aucun moyen d’éluder ou de tourner cela. Seule la convention l’aurait pu par un décret d’amnistie. Ce décret n’ayant pas été rendu, le devoir de Blad était de procurer l’exécution de la loi. C’est ce qu’il résolut : dès le 27 juillet, une commission militaire était établie par ses soins à Auray, et, le 28, elle avait déjà jugé Sombreuil et deux autres émigrés, quand tout à coup, prise d’un scrupule de conscience, brusquement elle interrompit ses opérations. Pourquoi? Le voici : Ni Sombreuil, ni les deux premiers prisonniers jugés avec lui n’avaient parlé de la capitulation. Mais, après eux, dans leur interrogatoire, plusieurs émigrés en avaient invoqué l’existence et réclamé le bénéfice. Devant cette attitude, les membres de la commission s’étaient sentis troublés et n’avaient pas cru pouvoir aller plus loin sans en référer à Blad : « Nous ignorons si cette capitulation existe. Si elle existe, notre marche est arrêtée. Nous vous invitons, en conséquence, à nous faire connaître la vérité et à nous tracer la conduite que nous avons à tenir dans la carrière pénible que nous parcourons. Sombreuil, La Landelle et Petit-Guyot sont, il est vrai, déjà jugés. Mais Sombreuil était chef et les deux autres n’ont point parlé de capitulation. Au surplus, dans l’incertitude, il vaut mieux sans doute n’en avoir jugé que trois que de prononcer sur tous[1]. »

Le sentiment qui avait dicté cette lettre était parfaitement honorable : du moment que la question de la capitulation se posait dans la procédure, il importait qu’elle fût tranchée par une déclaration catégorique. La bonne renommée des jugemens à intervenir l’exigeait.

  1. Archives de la guerre (28 juillet 1795).