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L'INNOCENT

PREMIERE PARTIE,

ï.

— A toi! ramène-les!.. Hardi là, Vaillante I

C'était un pâtre, un vieux, qui gardait les brebis en filant de l'étoupe, assis au sommet d'une levée de terre qui formait palissade le long de la Garonne. Devant lui, par-delà les têtes ondulantes des jeunes saules, apparaissait toute blanche, dans l'éclat du soleil, une grève de sable et de cailloux; et au fond, étages en murailles au-dessus de la rivière qui s'en allait, d'un seul bloc, froide et pure comme une coulée de cristal, montaient des taillis de saules et des champs de peupliers, des alignemens d'arbres tout d'une venue, pareils de taille et d'envergure, qu'on nomme dans le pays des ramiers. Derrière le berger, de l'autre côté de la palissade, on aurait dit d'un désert. Rien que de l'herbe et des peupliers; un pays tranquille, obscur, silencieux, profondément endormi sous les branches, bercé nuit et jour au bruissement monotone des feuilles nouvelles, ruisselantes au moindre souffle comme des rivières de verdure.

— A toi ! répétait le pâtre.

Et, s' étant mis sur pied, il frappait l'une contre l'autre, pour exciter la chienne, ses mains décharnées, qui sonnaient aussi sec que des cliquettes de buis.