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société, écrit-il de Lunebourg à son ami Moser au commencement de 1824. Penses-tu par hasard que la cause de nos frères ne me tienne plus à cœur ? Tu te trompes alors énormément. Que ma droite se dessèche si je t’oublie jamais, Iérouschalaym ! Ce sont à peu près les paroles du Psalmiste, et ce sont toujours les miennes. » Ces déclarations étaient sincères. Si Heine ne prenait ni part ni intérêt à ces tentatives philosophiques et religieuses de réforme du mosaïsme, il n’en était pas de même de tout ce qui pouvait aider au relèvement politique d’Israël. En toute occasion, nous le voyons plaider la cause de l’émancipation avec une ardeur éloquente. Dans les années de 1823 à 1825, nous le trouvons plongé dans la lecture assidue des écrivains qui ont traité de l’histoire des juifs au moyen âge, et particulièrement de Basnage. C’est qu’il y cherchait les matériaux d’un monument littéraire qu’il s’occupait d’élever à la glorification des martyrs de la foi mosaïque. Walter Scott, dont Heine a si bien défini le génie en disant que c’était un millionnaire qui avait sa fortune en gros sous, était alors en possession de cette vogue universelle qui en faisait un favori de tous les peuples, et notre poète, s’autorisant des modèles d’Ivanhoë et de Quentin Durward, écrivit le Rabbin de Bacharach, roman historique consacré à la peinture de la vie juive aux derniers temps du moyen âge. L’histoire de cet ouvrage est curieuse et nous donne bien la note exacte des sentimens de Heine à l’égard de sa race. Le manuscrit en était entièrement terminé, lorsqu’il fut détruit par un incendie dans la maison paternelle. Cependant Heine n’essaya jamais de réparer cet accident, négligence singulière qu’expliquent seuls un amour modéré pour l’œuvre ainsi détruite et un zèle tiède pour la cause qu’il y défendait, car il est permis de croire que le manuscrit aurait été aisément reconstitué si la perte lui en avait un peu plus tenu à cœur. Les trois premiers chapitres, dont il avait tiré une copie nous ont seuls été conservés, encore ne nous sont-ils parvenus que parce que le poète, toujours à court de matière imprimable, se décida, quinze ans plus tard, en 1840, à s’en servir pour compléter un des volumes qu’il livrait à son éditeur Campe, de Hambourg. Ils sont charmans et dans le plus pur sentiment de Heine, ces trois chapitres, où l’horreur tragique, dans ce qu’elle a de plus noir, avoisine si étroitement la verve comique dans ce qu’elle a de plus bouffon, et ils nous suffisent pour deviner avec certitude l’esprit dans lequel le livre entier était conçu. Il y règne cette même haine du fanatisme religieux qui éclate dans sa tragédie d’Almanzor, publiée à la même époque. Ce que Heine aime chez les juifs du moyen âge, ce n’est pas la race elle-même, qu’il nous montre, par mainte silhouette comique, avilissante et corruptible à l’égal des autres enfans des hommes, ce sont les victimes de