Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/683

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nécessaires à la vie : cette cherté existait avant l’excès des spéculations et elle leur a survécu.

Ensuite, on ne se rend pas bien compte de ce que peuvent être les gains réalisés dans les jeux de Bourse ou qui sont en espérance. Supposons qu’ils aient été de 5 à 6 milliards en France au plus fort de la spéculation avant le krach, ce chiffre dépasse probablement la réalité. Qu’est-ce que 5 à 6 milliards comparés à la richesse totale du pays, qui est au moins de 200 milliards[1]? C’est un rapport de 2 à 3 pour 100 ; on ne voit pas bien l’effet qui a pu en résulter sur le renchérissement général des choses. D’ailleurs ce serait une erreur de croire que ces 5 à6 milliards constituent une augmentation de la richesse, c’est une plus-value qui n’est qu’apparente; il faudrait pouvoir la réaliser, et si on la réalisait, on infligerait à ceux qui prendraient les valeurs à des prix surfaits une perte proportionnelle; les uns seraient appauvris de ce qu’auraient gagné les autres, et les facultés disponibles des premiers seraient diminuées d’autant.

Le prix coté à la Bourse n’a aucune importance au point de vue de l’apprécia! ion de la richesse publique. Ce qui en a une, c’est le revenu que donnent les valeurs et qu’on capitalise plus ou moins haut, suivant les circonstances. Si on le capitalise trop haut, la richesse publique n’a pas gagné ce qu’indique la cote, de même qu’elle n’a pas perdu ce qu’il y a eu moins si la capitalisation se fait trop bas, comme cela arrive dans les momens de crise. Les uns gagnent, les autres perdent; au fond, la richesse reste la même. Donc, si on voit une augmentation persistante dans les choses nécessaires à la vie, on peut admettre qu’elle est indépendante des opérations de la Bourse, qu’elle repose sur un fond plus solide, qui ne change pas du jour au lendemain par l’effet de l’agiotage, et ce fond, c’est le revenu général. Qu’ont ajouté au revenu général les 5 à 6 milliards de plus-value? Rien ou à peu près rien. Ils étaient simplement l’escompte anticipé de bénéfices qui ne devaient pas se réaliser. Mais, dira-t-on, ceux qui les avaient entre les mains ou, tout au moins, qui croyaient les avoir, ont dépensé davantage, cette dépense a pu agir sur les prix. C’est possible, mais c’est là un effet très restreint, et si l’on veut voir un effet plus général, il faut considérer, en dehors de l’agiotage de la Bourse, la spéculation sur les terrains et les constructions à Paris, et ailleurs les grandes dépenses de toute sorte qui ont été faites par l’état et par d’autres.

Quand le bâtiment va, dit-on, tout va. Cela est vrai. Il y a tant d’industries qui se rattachent au bâtiment que, si les constructions

  1. Voyez une conférence faite à la Sorbonne, en 1882, par M. de Foville sur la Fortune publique.