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magistrats qu’à l’audience. » Ce qui signifie que les magistrats inamovibles font corps avec la société, vivent avec elle en pleine harmonie, et que le chef du parquet est entré, dès le début, en lutte publique avec ce qu’il a appelé, dans ses rapports au garde des sceaux, une coterie cléricale. Supposez ce que peuvent être, dans une ville où les rencontres sont de chaque jour, où les promenades rapprochent aux mêmes heures, des relations difficiles que la malignité de deux partis s’applique à aigrir. Ajoutez surtout à ces tiraillemens la perspective d’une loi d’épuration discutée pendant quatre ans. En temps ordinaire, entre le magistrat inamovible et le substitut, la brouille, étant sans issue, se terminait toujours par un raccommodement. Cette fois, le parquet se sentait le maître et s’apprêtait à vider un long arriéré de rancunes. La menace d’une suspension de l’inamovibilité, loin donc d’apaiser le feu, ne cessait de l’entretenir. Que de ménages supportables deviendraient un enfer si l’un des époux se croyait sûr que le divorce dût être voté le lendemain !

Ainsi, l’accusation vague de cléricalisme, les relations et les parentés politiques, les querelles personnelles les plus mesquines, une série de petits faits devenus de gros griefs, et, par-dessus tout, la rupture de la société demeurée fidèle aux vieux corps judiciaires et des magistrats du parquet envoyés dans les provinces comme une avant-garde pour recueillir les dénonciations et préparer l’exécution de la loi : voilà les prétextes accumulés dans les rapports qui s’amoncelaient en août sur la table du garde des sceaux.

Au milieu de ces misérables délations qui s’entre-croisaient et allaient atteindre plus de la moitié du personnel, la chancellerie était forcée de faire un choix. Elle prit le parti qui convient le mieux aux ministres lorsqu’ils sont plus faibles que violens : elle suivit ceux qui parlaient le plus haut. Dans le concert de récriminations, les députés se faisaient les organes des comités dont les anciennes rancunes remontaient aux campagnes électorales de 1877. Il semblait qu’en plus d’un arrondissement le député eût une querelle personnelle à vider avec le président du siège et que le vote de la loi n’eût eu d’autre but que de le débarrasser d’un antagoniste. Quelle que fût leur insistance, la presse élevait la voix encore plus haut. Les feuilles radicales avaient déjà préparé et ameuté la foule ; il s’agissait maintenant d’une autre besogne : il fallait peser sur les bureaux du ministère. Toute la bande des dénonciateurs s’y employa. Il n’y eut pas de feuille anarchiste qui n’offrît ses services et ses calomnies au cabinet. Que les journaux favorables au ministère eussent pris part à une œuvre dont le cabinet avait revendiqué la responsabilité, nul n’en eût été surpris. L’action