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d’état, peut-être homme de guerre beaucoup plus correct, mais à qui personne ne sera tenté d’appliquer ce qu’on a pu dire du petit-fils de Fouquet, qu’il avait été arrêté à moitié route, en chemin de devenir un grand homme. Il n’y a pas jusqu’au style et même à l’écriture des deux maréchaux qui ne révèle cette dissemblance : ici ce sont des dépêches bien régulières, tracées d’une main posée, sans un trait vif, ni une expression saillante ; là, la furie et les saccades d’une plume qui a peine à suivre l’impétuosité de la pensée.

Ce fut cette capacité moyenne (je ne dis pas médiocre, ce qui serait trop sévère), jointe à l’éclat du nom et des alliances, qui valut à Noailles, d’abord l’avantage de faire partie des grands conseils ministériels, — organisation éphémère que le duc d’Orléans forma au début de la régence, — puis le commandement de divisions importantes pendant les guerres qui suivirent. Il s’acquitta de ces fonctions assez honnêtement pour que personne ne fût surpris de le voir compris dans une promotion de maréchaux. Dans cet aréopage militaire, il siégeait entre Broglie et Belle-Isle, plus jeune que l’un, plus ancien que l’autre d’âge comme de grade. Ce fut en cette qualité qu’il dut être appelé au conseil de guerre où fut débattu l’envoi de l’armée du maréchal de Maillebois, en Allemagne, et il fut presque seul (je l’ai dit) à conseiller cette expédition ; avis qui eut la bonne fortune d’obtenir non-seulement le consentement du roi, mais son adhésion plus nettement et plus vivement exprimée que de coutume.

Les jours suivans, il sembla à ceux qui savaient lire dans le jeu des physionomies que le roi, satisfait de s’être prononcé lui-même, savait gré à celui qui avait provoqué son intervention. « Avant-hier, écrit le duc de Luynes, à la date du 26 août, le roi demanda à M. le maréchal de Noailles s’il n’allait pas à Saint-Germain. Le maréchal lui demanda s’il avait quelque chose à lui ordonner. Le roi lui dit : « Il faudra que vous voyagiez. — Sire, répondit le maréchal en souriant, je suis bien vieux pour faire des voyages. » — Mais le roi avait cessé de rire, et comme il partait pour la chasse, il invita le maréchal à venir le trouver au retour. L’entretien eut lieu le soir, après le tiré dans le grand parc, les vêpres et le débotté, et, commencé à huit heures un quart, ne se termina qu’à neuf. Le cardinal, fatigué, était absent ce jour-là : trois quarts d’heure de conversation en tête-à-tête avec le roi n’étaient pas une faveur ordinaire. La confidence parut plus précieuse encore quand le maréchal apprit qu’il allait être chargé du commandement des places de Flandre et du soin de défendre les provinces du Nord contre les attaques dont cette frontière pouvait être l’objet dès que l’armée de Maillebois aurait cessé de la couvrir. Comme c’était lui qui avait été d’avis